Archive for the ‘PHILOSOPHIE AFRICAINE’ Category

Pensée du 15 novembre 16

« La conscience représentante est conscience du concept. La conscience, en tant que mouvement d’appartenance radicale à soi, est concept, pour autant qu’il s’agit de se porter à la substance des choses. Et c’est seulement en cela que la conscience constitue le point de départ fondamental de l’histoire. Là donc où se trouve l’exigence de l’histoire, là doit se trouver nécessairement la conscience, dans l’exigence de sa vérité, c’est-à-dire le concept. C’est pourquoi la visée essentielle d’une communauté franco-africaine ne peut être rien d’autre que le concept… Parvenir à la conscience représentante, qui donne de l’éclat à l’humanité de l’homme,  c’est sans doute procéder, de manière courageuse et rigoureuse, à évacuer tout ce qui peut obstruer la visibilité et la dynamique de la conscience représentante. »

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition, Paris, Editions du Panthéon, 2015.

_________________________________________________________________________

Pensée du 08 novembre 16

« Il y a cinq ans que nous avons entendu Nicolas Sarkozy prononcer ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Discours de Dakar, avec comme point saillant cette petite phrase : l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Une phrase qui déclencha la colère hystérique des irréductibles africanistes noirs et même blancs. On y voyait en arrière-fond toute la thèse hégélienne de la négation du Noir ; et pour certains tout ce qui rappelle Hegel, dans ce sens, doit être combattu sans précaution, parce qu’Hegel rime avec mépris du Noir. Pourtant l’idée de Sarkozy n’est pas si méprisante que l’on peut le faire croire… L’idée de Sarkozy est, à la fois, un constat de la réalité quotidienne de la vie, qu’aucun africain, s’il est sérieux, ne peut nier, et une invite, justement à penser et à organiser la vie humaine en Afrique, pour qu’elle soit porteuse de dignité. N’est-ce pas ce qui mérite la louange ? »

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition, Paris, Editions du Panthéon, 2015.

_________________________________________________________________________

Pensée du 01 novembre 16

« Il (le nationalisme) est la pire des idéologies, et l’histoire moderne de l’humanité, aussi bien en Afrique, en Europe qu’en Asie, donne des exemples qui inclinent à une méditation essentielle. L’exemple le plus triste est le nationalisme nazi ; et en Afrique, des pays qui ont cru en cette idéologie ont installé leurs peuples dans la misère. C’est pourquoi il convient d’apprécier les choses, selon un ordre de grandeur difficilement perceptible permettant de voir autrement les formes d’accession à l’indépendance. Les véritables indépendances ne sont pas celles qui installent leurs peuples dans la misère, mais celles qui rendent possible un rapport substantiel au réel, donnant aux peuples la possibilité d’une véritable appropriation de leur dignité. » 

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition, Paris, Editions du Panthéon, 2015.

_____________________________________________________________________________

Pensée du 30 octobre 16

« La question des indépendances, par la médiation d’un retour aux sources pures, est une perversion de l’historialité de l’homme, vivant sur une terre qu’on appelle l’Afrique, dans la mesure où elle engendre des hommes aux consciences prisonnières de contingences érigées en absolu. On est si convaincu que le mal est ce qui est en face qu’on croit nécessaire de radicalement le détruire. On enfle ces prétentions jusqu’à les transformer en idéologie. C’est en vérité cela le sens même de l’idéologie : la prétention devenue conviction qu’il faudrait par tous les moyens imposer aux autres. L’idéologie, dans son essentialité, se distingue par deux choses : la prétention et la force qui tente de l’imposer. Et sa visibilité la plus manifeste est le nationalisme. »

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition, Paris, Editions du Panthéon, 2015.

________________________________________________________________________________

Pensée du 28 mai 16

« Il y a cinq ans que nous avons entendu Nicolas Sarkozy prononcer ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Discours de Dakar, avec comme point saillant cette petite phrase : l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Une phrase qui déclencha la colère hystérique des irréductibles africanistes noirs et même blancs. On y voyait en arrière-fond toute la thèse hégélienne de la négation du Noir ; et pour certains tout ce qui rappelle Hegel, dans ce sens, doit être combattu sans précaution, parce qu’Hegel rime avec mépris du Noir. Pourtant l’idée de Sarkozy n’est pas si méprisante que l’on peut le faire croire… L’idée de Sarkozy est, à la fois, un constat de la réalité quotidienne de la vie, qu’aucun africain, s’il est sérieux, ne peut nier, et une invite, justement à penser et à organiser la vie humaine en Afrique, pour qu’elle soit porteuse de dignité. N’est-ce pas ce qui mérite la louange ? »

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition,  Paris, Editions du Panthéon, 2015.

__________________________________________________________________________________

http://www.cdiscount.com/livres-bd/actualite-politique-societe-religion/la-francafrique-comme-perversion-d-une-intuition/f-105990701-9782754726788.html

Pensée du 26 mai 16

« Il (le nationalisme) est la pire des idéologies, et l’histoire moderne de l’humanité, aussi bien en Afrique, en Europe qu’en Asie, donne des exemples qui inclinent à une méditation essentielle. L’exemple le plus triste est le nationalisme nazi ; et en Afrique, des pays qui ont cru en cette idéologie ont installé leurs peuples dans la misère. C’est pourquoi il convient d’apprécier les choses, selon un ordre de grandeur difficilement perceptible permettant de voir autrement les formes d’accession à l’indépendance. Les véritables indépendances ne sont pas celles qui installent leurs peuples dans la misère, mais celles qui rendent possible un rapport substantiel au réel, donnant aux peuples la possibilité d’une véritable appropriation de leur dignité. » 

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition, Paris, Editions du Panthéon, 2015.

______________________________________________________________________________________

http://www.cdiscount.com/livres-bd/actualite-politique-societe-religion/la-francafrique-comme-perversion-d-une-intuition/f-105990701-9782754726788.html

Pensée du 25 mai 16

« La question des indépendances, par la médiation d’un retour aux sources pures, est une perversion de l’historialité de l’homme, vivant sur une terre qu’on appelle l’Afrique, dans la mesure où elle engendre des hommes aux consciences prisonnières de contingences érigées en absolu. On est si convaincu que le mal est ce qui est en face qu’on croit nécessaire de radicalement le détruire. On enfle ces prétentions jusqu’à les transformer en idéologie. C’est en vérité cela le sens même de l’idéologie : la prétention devenue conviction qu’il faudrait par tous les moyens imposer aux autres. L’idéologie, dans son essentialité, se distingue par deux choses : la prétention et la force qui tente de l’imposer. Et sa visibilité la plus manifeste est le nationalisme. »

Jean Gobert Tanoh, La françafrique comme perversion d’une intuition

______________________________________________________________________________________

http://www.cdiscount.com/livres-bd/actualite-politique-societe-religion/la-francafrique-comme-perversion-d-une-intuition/f-105990701-9782754726788.html

L’Affaire de la philosophie africaine. Au-delà des querelles

EBOUSSI BOULAGA F., L’Affaire de la philosophie africaine. Au-delà des querelles, Paris, Editions terroirs et Karthala, 2012, 248p.

La thèse centrale de l’ouvrage est que le débat sur l’existence ou la non-existence d’une philosophie africaine, l’opposition entre la philosophie occidentale et la philosophie africaine sont vains et stériles, car l’un et l’autre camp restent prisonniers d’une conception de la philosophie où celle-ci n’est plus un mode de vie, une manière « de vivre et de mourir personnellement selon le vrai, le bien et le beau ».  Après avoir été la servante de la théologie, la philosophie est devenue la « domestique » de la techno-science et de l’idéologie du développement dans le cadre de l’Etat dont les philosophes sont des fonctionnaires parmi d’autres. Chacun des chapitres est une illustration de cette problématique générale.

Le premier chapitre est une critique fouillée de La philosophie bantoue du Père Placide Tempels, ouvrage publié en 1945 et qui prétendait exposer la philosophie des Bantous. La critique porte d’abord sur la méthode employée pour établir l’existence d’une philosophie africaine, la logique de la démarche et le recours à l’ontologie. Elle porte ensuite sur la signification socio-historique de l’entreprise pour une Afrique qui aspire à la liberté et à l’auto-détermination.

Dans le deuxième chapitre, et en réponse au reproche qu’on lui avait fait d’avoir ignoré les autres écrits de Tempels, l’auteur restitue La philosophie bantoue dans l’ensemble de l’œuvre du missionnaire franciscain. Il montre que l’ouvrage n’est qu’une théorie maladroite de l’action de Tempels, de son souci de partager la vie et les préoccupations de ses ouailles. On retrouve la philosophie comme manière de vivre, mode de la vie, ce qui a échappé aussi bien aux héritiers de La philosophie bantoue qu’à ceux qui l’ont critiquée au nom de « la philosophie occidentale » érigée en critère normatif.

Le troisième chapitre est une réponse méthodique et détaillée aux accusations de plagiat portées contre l’auteur par un jeune philosophe camerounais dans sa thèse couronnée et publiée par la Sorbonne. Au-delà de la critique des procédés de l’accusation, il s’agit d’un exposé pédagogique qui invite à dépasser une conception lexicale de la philosophie, les modes et les mondanités « philosophiques », le recours forcé à la citation qui camouflent mal le vide de la pensée. Il dit ceci : « Je n’ai le goût ni l’outrecuidance de me substituer à ces divinités dans ma tâche si vaine humainement parlant. Je laisse à d’autre la délectation morose de faire l’inventaire des néologismes dont M. BIDIMA peut s’enorgueillir », « Il souffre d’une aphasie de réception »[1]. Voilà pourquoi, il faut exclure la justice vindicative au profit de la justice restaurative.[2] Encore une fois, la philosophie est une manière de vivre, « pratique d’un lieu », « une topologie ».

Le quatrième chapitre se présente comme une Lecture hérétique de la Théorie de la justice de John Rawls réputée incontournable. L’anthropologie révèle qu’avant le modèle du contrat social, il y a les « universaux » instituant de l’humain qui nous tiennent ensemble et nous obligent en dehors de tout consentement : les liens gracieux de la générosité, du don appelant la reconnaissance et le contre-don qui restitue à d’autres ce que nous avons nous-mêmes reçu de ceux qui ne sont plus là. Une théorie universalisable de la justice suppose la discussion interculturelle sur la base « des diverses manières actuelles et possibles d’advenir comme humain », un « dialogue des lieux ».

Le cinquième chapitre est considéré par l’auteur lui-même comme le cœur de l’ouvrage, et c’est là qu’on trouve la thèse centrale dégagée plus haut. Le développement annonce-t-il la fin de la philosophie ? Une longue section est consacrée à la Chine : trouvera-t-elle son salut dans la course effrénée au développement ? La philosophie n’est pas le retour à une prétendue harmonie originelle (l’identité africaine ou la raison), ni la recherche d’un accomplissement (développement scientifique et technique) simplement postulé. Elle est étrangère à toute détermination en première et/ou dernière instance (origine ou Fin, archéologie ou eschatologie ou téléologie). Comme art de vivre et « discours des lieux de vie », elle « ne commence pas mais recommence seulement. Pareillement, elle ne finit jamais, mais s’arrête, quand vient le moment de boire la ciguë ».

Y a-t-il un sens à invoquer Aristote, « qui passe pour le père de cette métaphysique qui se supprime et se conserve tout à la fois comme science et comme technologie », quand on considère la philosophie comme un art de vivre identifié avec la quête de la sagesse ? Le sixième et dernier chapitre du livre montre que la « philosophie » d’Aristote est radicalement aporétique par sa méthode exposée dans l’ouvrage appelé les Topiques. « L’aporie est, avant et après tout, une situation vitale intenable » et « l’unique lieu de naissance et de la prolifération du philosopher ». Celui-ci consiste à chercher à sortir de l’embarras par et dans l’échange et la discussion avec les autres, la mise à l’épreuve des solutions. Ainsi, l’art topique permet aux Africains de « sortir du bantoustan mental postapartheid ».

Achile Igor BENAM.

[1] EBOUSSI BOULAGA F., L’Affaire de la philosophie africaine. Au-delà des querelles, Paris, Editions terroirs et Karthala, 2012, p. 115.

[2] Idem, p. 116.

_________________________________________________________________________________________

Pensée du 07 novembre 14

CONSCIENCISME ET HISTOIRE DE L’AFRIQUE

« Notre renaissance africaine insiste beaucoup sur la façon de présenter l’histoire [puisque] L’histoire de l’Afrique telle que l’exposent les universitaires européens, a été encombrée de mythes pervers ».

Nkrumah K., Le consciencisme, tr. fr. L. Jospin, Paris, Payot, 1964, pp. 99, 97.

 __________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

L’histoire est un domaine essentiel pour qui veut prétendre à unifier un continent comme le consciencisme de Nkrumah. Une des difficultés est celle de réécrire l’histoire puisqu’à l’évidence, l’histoire de notre continent telle qu’elle a été faite a surtout servi à détruire toute capacité du Noir d’être fier de lui. On [l’Occident impérialiste, puisqu’il faut le nommer] a ainsi vulgarisé l’idée selon laquelle l’Afrique a toujours été dominée par l’Occident et que le Nègre est naturellement inférieur au Blanc. Nous savons aujourd’hui – même si certaines personnes soutiennent consciemment ou inconsciemment une pareille thèse désuète – que rien n’est éloigné de la réalité qu’une pareille déclaration et Nkrumah est préoccupé par le sujet car conscient de ces déformations de l’histoire.

Pour le premier président du Ghana, il est nécessaire de refaire l’histoire africaine avec objectivité, c’est-à-dire qu’il ne faut la faire ni plus belle ni plus dramatique qu’elle ne fût en réalité pour éviter deux excès : l’absolutisation de la culture africaine et sa minimisation. Et nous savons déjà depuis Platon et Aristote, que la mesure – la juste mesure précisément – est importante dans la vie. Mais contrairement au mouvement de reconnaissance, il ne brandit pas la culture comme étant la preuve de l’humanité de l’homme Noir car cette question semble déjà être résolue depuis le temps des premières calomnies impérialistes et de leurs réfutations.

On peut regretter que Nkrumah n’ait pas été au fait des productions littéraires de Cheikh Anta Diop, ce qui lui aurait donné un socle scientifique – car son argumentation est avant tout abstraite et trop peu étayée par les exemples – pour la vérification de son intuition. Mais nous, Africains actuels, avons la chance de n’avoir pas que Nkrumah et pour cette raison, il nous importe de faire le lien entre ces deux grands penseurs qui ont marqué notre temps à jamais par leurs productions intellectuelles.

Voir le blog de Jean Eric BITANG

_____________________________________________________________________

Pensée du 13 août 14

« […] la philosophie entre en conflit avec la religion, du fait que celle-ci se veut l’autorité absolue tant dans le domaine de la vérité que dans celui de la pratique […] La religion conçoit l’esprit humain comme borné, limité et ayant donc besoin que les vérités essentielles pour l’homme, que sa raison infirme serait incapable de découvrir par elle-même, lui soient révélées d’une façon surnaturelle et mystérieuse. Mais l’idée d’une vérité au-delà de la raison, inaccessible naturellement à l’esprit humain, est absolument inconcevable par la philosophie qui repose sur le principe diamétralement opposé selon lequel la pensée ne doit rien présumer en dehors d’elle-même, c’est-à-dire, que la philosophie ne doit rien admettre comme vrai qui n’ait été saisi comme tel par la pensée. »

Marcien Towa, Essai, op. cité, p. 62.

_______________________________________________________________________

Pensée du 07 octobre 13

« Que de cadres africains généreux et compétents n’ont-ils pas été victimes de la sorcellerie et dont le rayonnement naturel ne s’est trouvé de ce fait mis par jalousie sous l’éteignoir au détriment de tout apport qualitatif de leur formation technique à l’ensemble de la société ? Or, cette chape de plomb de la sorcellerie pèse encore et toujours sur la société africaine du sommet à la base. Dans une interview à la revue Amina, le cinéaste camerounais Daniel Kamwa, réalisateur du film Le Cercle des pouvoirs, déclare : « La sorcellerie partie de la vie de tout africain. Même en Europe il y a une espèce de retour à l’irrationnel. (…) »

Dominique Assalé Aka-Bwassi, Comment sortir ensemble de la pauvreté ou la Bonne Nouvelle aux pauvres, Abidjan, PUCI, 2000, Coll. « Temps Nouveaux ».

___________________________________________________________________________________________________________________

Pensée du 10 juin 13

« Le Noir considère le Blanc comme possédant une vie plus élevée que la sienne. Il le considère comme possédant une vie qu’il lui communique, qu’il « paternise ». Il n’est pas seulement loyal envers le Blanc qui a fait preuve de force et de pouvoir, de puissance mystérieuse et extérieure, mais il estime chez nous la capacité intime de l’être, le degré d’existence majeur, la qualité ontologique même. Il s’exprime en disant naïvement, selon la logique de sa pensée ancienne, que le Blanc est son père, et sa mère.

Quand les Noirs ont vu pour la première fois des Blancs, ils ont cru qu’il s’agissait de morts revenant, pareils à des cadavres de Noirs qui, ayant séjourné un temps dans l’eau, ont blanchi. Ils ont pensé que les Blancs possédaient donc aussi le savoir des êtres invisibles et la science de la nature intime des êtres. Les capacités techniques et mécaniques de Blancs leur ont fait conclure à une vraie sagesse, à une connaissance très élevée de l’univers visible et invisible, à une science et à une puissance relatives à la nature des choses, à la substance et à l’énergie développée par les êtres.

Ils ont constaté en outre que leurs « bwanga« , leurs instruments et ingrédients magiques n’avaient pas prise sur les Blancs. Ceux-ci n’en tenaient surtout pas compte; non seulement ceux-ci ne leur attachaient pas de valeur théorique mais ils se montraient supérieurs en degré d’existence, en rangs de dignité parmi les êtres et les hommes, dans l’ordre des forces vitales. »

MELANGES DE PHILOSOPHIE BANTU, Recueil de textes du P. Placide Tempels (par A.J. SMET).

___________________________________________________________________

Pensée du 08 juin 13

« Pendant longtemps, le débat philosophique en Afrique a été polarisé autour de la question de l’existence ou de la non-existence d’une «philosophie africaine »: existe-t-il une philosophie africaine? Si oui, est-elle systématique? Question superflue et métaphysique ont dit les uns, question idéologique et identitaire ont clamé les autres. Le débat portait également sur son statut théorique par rapport aux autres formes de pensées, particulièrement à la pensée ethnologique. La rédaction par le missionnaire belge Placide Tempels en 1945, c’est-à-dire en pleine décomposition de l’idéologie fasciste, d’un ouvrage qui paraîtra en 1948 sous le titre La Philosophie bantoue, inaugurera, sur le terrain de la philosophie, le débat contemporain relatif à l’identité noire, à la suite des débats politiques engagés sur la négritude dix années auparavant par des écrivains africains, africains-américains et antillais. Tempels emprunte une méthode apparemment simple. Elle consiste à «postuler, chercher et trouver, comme ultime fondement d’un comportement humain logique et universel, une pensée humaine logique. Point de comportement vital, écrivait-il, sans un sens de la vie; point de volonté de vie sans concept vital; point de constante pratique rédemptrice sans philosophie du salut.«

ABEL KOUVOUAMA, « Philosophie et politique en Afrique », in Politique africaine n° 77 – mars 2000, p. 7-8.

__________________________________________________________________

Pensée du 18 février 13

« Tiraillée entre son passé à peine assumé et un avenir chargé de sombres nuages, mortifiée dans son être par des guerres, des conflits armés et des famines toujours menaçantes ; étranglée par des pandémies qui plombent ses énergies de vie et sa puissance d’espérance, engluée dans une marginalisation globale qui ne laisse pas son espace au développement économique dans une mondialisation sans âme ni horizon, l’Afrique se trouve à la croisée de toutes les inquiétudes.»

KA MANA, Christianismes africains. Construire l’espérance, Cotonou, Pentecôte d’Afrique, 2004, p. 7.

__________________________________________________________________________

Pensée du 04 février 13

« Le Noir considère le Blanc comme possédant une vie plus élevée que la sienne. Il le considère comme possédant une vie qu’il lui communique, qu’il « paternise ». Il n’est pas seulement loyal envers le Blanc qui a fait preuve de force et de pouvoir, de puissance mystérieuse et extérieure, mais il estime chez nous la capacité intime de l’être, le degré d’existence majeur, la qualité ontologique même. Il s’exprime en disant naïvement, selon la logique de sa pensée ancienne, que le Blanc est son père, et sa mère.

Quand les Noirs ont vu pour la première fois des Blancs, ils ont cru qu’il s’agissait de morts revenant, pareils à des cadavres de Noirs qui, ayant séjourné un temps dans l’eau, ont blanchi. Ils ont pensé que les Blancs possédaient donc aussi le savoir des êtres invisibles et la science de la nature intime des êtres. Les capacités techniques et mécaniques de Blancs leur ont fait conclure à une vraie sagesse, à une connaissance très élevée de l’univers visible et invisible, à une science et à une puissance relatives à la nature des choses, à la substance et à l’énergie développée par les êtres.

Ils ont constaté en outre que leurs « bwanga« , leurs instruments et ingrédients magiques n’avaient pas prise sur les Blancs. Ceux-ci n’en tenaient surtout pas compte; non seulement ceux-ci ne leur attachaient pas de valeur théorique mais ils se montraient supérieurs en degré d’existence, en rangs de dignité parmi les êtres et les hommes, dans l’ordre des forces vitales. »

MELANGES DE PHILOSOPHIE BANTU, Recueil de textes du P. Placide Tempels (par A.J. SMET).

________________________________________________________________________

Pensée du 03 février 13

« Pendant longtemps, le débat philosophique en Afrique a été polarisé autour de la question de l’existence ou de la non-existence d’une «philosophie africaine »: existe-t-il une philosophie africaine? Si oui, est-elle systématique? Question superflue et métaphysique ont dit les uns, question idéologique et identitaire ont clamé les autres. Le débat portait également sur son statut théorique par rapport aux autres formes de pensées, particulièrement à la pensée ethnologique. La rédaction par le missionnaire belge Placide Tempels en 1945, c’est-à-dire en pleine décomposition de l’idéologie fasciste, d’un ouvrage qui paraîtra en 1948 sous le titre La Philosophie bantoue, inaugurera, sur le terrain de la philosophie, le débat contemporain relatif à l’identité noire, à la suite des débats politiques engagés sur la négritude dix années auparavant par des écrivains africains, africains-américains et antillais. Tempels emprunte une méthode apparemment simple. Elle consiste à «postuler, chercher et trouver, comme ultime fondement d’un comportement humain logique et universel, une pensée humaine logique. Point de comportement vital, écrivait-il, sans un sens de la vie; point de volonté de vie sans concept vital; point de constante pratique rédemptrice sans philosophie du salut.«

ABEL KOUVOUAMA, « Philosophie et politique en Afrique », in Politique africaine n° 77 – mars 2000, p. 7-8.

_____________________________________________________________________

Pensée du 14 janvier 13

Langue et unité africaines

« Quel intérêt un Français a-t-il aujourd’hui à apprendre telle ou telle langue africaine ? (…) Il y a à cela plusieurs raisons certes, mais certainement pas le souci d’aider les Africains à unifier leur multitude de langues ».

Njoh-Mouelle E., Jalons II, Yaoundé, CLE, 1975, p. 12.

___________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

M. Njoh-Mouelle l’a bien compris, la langue est un outil de domination et l’attitude des Occidentaux qui pensent nous faire un « honneur » en apprenant nos langues n’a certainement rien de gratuit, il s’agit d’une tentative de renforcer les divisions africaines tout comme la balkanisation a permis de fortement affaiblir notre continent. Il n’y a dans cette entreprise aucune philanthropie. L’unification doit se faire par les Africains et pour les Africains. Mais, contrairement à M. Njoh-Mouelle, nous ne pensons pas que la langue soit un facteur déterminant. Nous sommes partisans de la théorie nkrumahiste. L’unification doit se faire sur trois plans : la politique, l’économie et l’idéologie.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

___________________________________________________________________

Pensée du 17 décembre 12

DES SOUBASSEMENTS IDEOLOGIQUES DE L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

« Le problème de la délimitation du domaine de la philosophie peut sembler d’abord purement académique et comme tel ne présentant d’intérêt que pour le cercle étroit des philosophes. En réalité, ce qui est en jeu, c’est la hiérarchisation des civilisations et des sociétés, ni plus ni moins ».

Towa M., Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, CLE, 1971, p. 19.

__________________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Certains Africains soutiennent que la philosophie ne vient de nulle part, ou, même si elle venait de quelque part, il ne serait pas intéressant de s’interroger sur ses origines, car la philosophie est « universelle ». Cette situation est-elle réelle ? L’histoire de la philosophie est-elle pure dans le sens précis où elle serait épurée de connotation idéologique ? M. Towa nous apprend qu’il n’en est rien et que la délimitation de l’origine de la philosophie a une finalité idéologique : la hiérarchisation des civilisations et des sociétés, c’est-à-dire la hiérarchisation des hommes.

En effet, si la philosophie est le domaine par excellence de déploiement de la raison, laquelle rend compte de la ligne de démarcation entre l’homme et l’animal, alors le peuple chez qui la philosophie serait apparue pour la première fois, serait ipso facto le peuple le plus intelligent, et en raison de cette supériorité rationnelle, il serait aussi le peuple en droit de diriger les autres. On comprend pourquoi il faut absolument faire naitre la philosophie en Occident – et précisément en Grèce – et taxer les élaborations égyptiennes de « gribouillis ». La raison n’est pas que les Egyptiens ont effectivement été les auteurs de gribouillis, mais qu’il faut absolument faire tenir la domination – actuelle – de l’Occident sur le reste du monde de façon rationnelle, car on ne peut plus invoquer l’autorité divine comme le mythe de Cham par exemple depuis que la scolastique a rendu son dernier souffle avec les foudres de la renaissance et les Lumières de la modernité.

Définitivement, la détermination de l’origine de la philosophie n’est pas neutre comme l’aurait pensé un Aristote lorsqu’il nous dit que la philosophie est la science par excellence de la liberté, c’est-à-dire du détachement des problèmes pratiques et des intérêts autres que ceux internes à la discipline ; elle vise quelque chose de plus profond : la hiérarchisation des hommes et il est de notre double devoir – de philosophe et d’Africain – de traquer de pareilles dérives et de rétablir la vérité de l’antériorité de la pratique philosophique en Afrique et précisément en Egypte.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

____________________________________________________________________

Pensée du 10 décembre 12

De la nécessité d’une originalité africaine

« Les Africains doivent partir de ce qu’ils sont. Ils ne peuvent pas faire l’économie d’un inventaire réfléchi de leur être-au-monde, qui leur permette d’assumer, à bon escient, leur passé toujours présent en eux et autour d’eux ».

Hebga M., La rationalité d’un discours africain sur les phénomènes paranormaux, L’Harmattan, 1998, p. 8.

______________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Ce que dit Hegba n’est pas anodin. Très souvent, trop souvent même, on croit en Afrique que l’ailleurs est meilleur que le chez-nous. Or, si l’Europe et les autres continents se sont développés, ce n’est qu’en ayant le regard ailleurs. Cela ne veut pas dire non plus qu’ils ont eu le regard que chez-eux, mais simplement, la jonction de l’ailleurs et du chez-eux, dans une synthèse dialectique sous-tendue par le désir d’être eux-mêmes et d’assumer leur être-au-monde a permis de les faire arriver à l’endroit où ils sont aujourd’hui. Il ne sert à rien de copier de façon moutonnière l’ailleurs sans regarder ce que ce dernier pourrait produire chez-nous. De même, il ne sert à rien de regarder ailleurs tant que les possibilités créatrices de chez-nous n’ont pas encore été épuisées. Ce n’est que dans ce sens que l’originalité est possible, sinon elle prend les sens de xénophobie ou d’aliénation.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

____________________________________________________________________

Pensée du 09 décembre 12

« […] la philosophie entre en conflit avec la religion, du fait que celle-ci se veut l’autorité absolue tant dans le domaine de la vérité que dans celui de la pratique […] La religion conçoit l’esprit humain comme borné, limité et ayant donc besoin que les vérités essentielles pour l’homme, que sa raison infirme serait incapable de découvrir par elle-même, lui soient révélées d’une façon surnaturelle et mystérieuse. Mais l’idée d’une vérité au-delà de la raison, inaccessible naturellement à l’esprit humain, est absolument inconcevable par la philosophie qui repose sur le principe diamétralement opposé selon lequel la pensée ne doit rien présumer en dehors d’elle-même, c’est-à-dire, que la philosophie ne doit rien admettre comme vrai qui n’ait été saisi comme tel par la pensée. »

Towa M., Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, CLE, 1971, p. 62.

______________________________________________________________________

Pensée du 08 décembre 12

« Pendant longtemps, le débat philosophique en Afrique a été polarisé autour de la question de l’existence ou de la non-existence d’une «philosophie africaine »: existe-t-il une philosophie africaine? Si oui, est-elle systématique? Question superflue et métaphysique ont dit les uns, question idéologique et identitaire ont clamé les autres. Le débat portait également sur son statut théorique par rapport aux autres formes de pensées, particulièrement à la pensée ethnologique. La rédaction par le missionnaire belge Placide Tempels
en 1945, c’est-à-dire en pleine décomposition de l’idéologie fasciste, d’un ouvrage qui paraîtra en 1948 sous le titre La Philosophie bantoue, inaugurera, sur le terrain de la philosophie, le débat contemporain relatif à l’identité noire, à la suite des débats politiques engagés sur la négritude dix années auparavant par des écrivains africains, africains-américains et antillais. Tempels emprunte une méthode apparemment simple. Elle consiste à «postuler, chercher et trouver, comme ultime fondement d’un comportement humain logique et universel, une pensée humaine logique. Point de comportement vital, écrivait-il, sans un sens de la vie; point de volonté de vie sans concept vital; point de constante pratique rédemptrice sans philosophie du salut.« 

ABEL KOUVOUAMA, « Philosophie et politique en Afrique », in Politique africaine n° 77 – mars 2000, p. 7-8.

________________________________________________________________________

Pensée du 03 décembre 12

DU REALISME POLITIQUE AFRICAIN

« L’Afrique d’abord et l’universel mondial ensuite ».

Nsame Mbongo, Choc des civilisations ou recompositions des peuples ?, Chennevières-sur-Marne, Dianoïa, coll. « Défis », 2004, p. 124.

________________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Cette petite citation allie à elle seule toutes les caractéristiques d’une bonne philosophie : la clarté et l’ancrage dans le réel. Le réalisme de M. Nsame Mbongo est une voie – si ce n’est la  voie – vers laquelle nous devons évoluer pour penser un jour sortir de notre état d’aliénation actuelle et tenter d’approcher le développement. Le leitmotiv de notre être doit être de mettre les intérêts africains avant tous les autres. Mettre les intérêts africains avant tous les autres, ne veut pas dire mépriser l’autre, ne pas lui accorder d’importance, mais savoir qu’entre l’autre et nous, nous passons en premier. Nos réflexions doivent mettre en avant nos productions avant celles de l’autre, promouvoir notre culture avant celle de l’autre, privilégier nos intérêts par rapport à ceux de l’autre, etc.

Lorsqu’un Africain se propose d’appliquer une pareille visée philosophique – et idéologique – il est directement taxé de raciste, mais les mêmes gens qui l’accusent oublient très rapidement que le credo européen n’est pas très différent de ce que nous dit M. Nsame Mbongo, c’est-à-dire : « L’Europe d’abord » et c’est tout. La politique européenne privilégie l’Europe – pas d’abord l’Europe, mais seulement l’Europe. C’est l’exemple de l’esclavage des Noirs, de la colonisation, de la néo-colonisation et de la re-colonisation que l’Europe – et son allié majeur, les Etats Unis d’Amérique – essayent de mettre en place en Côte d’Ivoire et en Libye. Pour éviter de tomber dans les discours creux et vides qui mettent en avant la désintégration de notre soi pour sa dilution dans le soi étranger, nous devons toujours avoir en tête le socle des relations humaines : l’intérêt, et mettre le notre avant tout autre.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

_____________________________________________________________________

Pensée du 26 novembre 12

NKRUMAH ET DIEU

« La peur a engendré les dieux, et la peur les protège ».

Nkrumah K., Le consciencisme, tr. fr. L. Jospin, Paris, Payot, 1964, p. 28.

_____________________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

« Dieu », voilà la réponse des gens qui ne veulent pas réfléchir, qui ne veulent pas chercher plus loin que le bout de leur nez – ou de leur foi –. Il y a quelques siècles, on expliquait les phénomènes naturels par tel ou tel dieu et cette attitude était celle taxée de normale, aujourd’hui nous savons précisément comment arrivent certains phénomènes surnaturels d’autrefois, c’est-à-dire que l’ignorance a reculé. La conséquence immédiate du recul de l’ignorance est le recul de Dieu. Plus on sait, moins on est proche de Dieu, c’est-à-dire de la facilité qui consiste à tout mettre dans sa volonté, dans son bon-vouloir. On s’abandonne de moins en moins aux forces extérieures aux nôtres. Puisque Dieu est la superstition par excellence, certains sont d’autant plus superstitieux qu’ils sont croyants car nul ne peut croire au Diable sans croire en son antidote, c’est-à-dire que le diable est utilisé pour vendre Dieu. C’est d’ailleurs cette stratégie qu’utilisent les religions pour vendre leurs idées : nous présenter l’enfer et nous promettre le paradis. Le substratum de toutes les religions c’est la peur ! Et la peur est entretenue par l’ignorance.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

_____________________________________________________________________

Pensée du 19 novembre 12

QU’EST-CE  QUE L’EGALITARISME ?

« L’égalitarisme ne signifie : absence de différences. Il ne requiert pas cela. Il reconnaît et accepte les différences entre les hommes, mais les limite au plan fonctionnel ».

Nkrumah K., Le consciencisme, tr. fr. L. Jospin, Paris, Payot, 1964, p. 74.

 _____________________________________________________________________

GRILLE LECTURE

Le consciencisme de Kwame Nkrumah est une philosophie qui se définit comme égalitaire. Bien qu’on puisse penser que l’égalitarisme estime que tous les hommes sont égaux, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de différences entre eux, Nkrumah nous remet sur les rails de l’interprétation de ce terme. Les différences existent entre les hommes, mais ces différences ne concernent en rien la valeur de ces derniers. Par exemple, un homme sera toujours un homme, qu’il soit un bourgeois ou un prolétaire. La valeur de l’homme ne se dit pas dans la classe à laquelle il appartient. C’est de cette façon au moins que pensera un philosophe qui se fonde sur l’égalitarisme. A l’opposé, les différences entre les hommes, dans des philosophies inégalitaires comme le capitalisme, la valeur de l’homme se lit dans sa productivité et à son rang social. Ainsi, un homme aura d’autant plus de valeur qu’il produira plus de capitaux – ouvrier – ou qu’il occupera une position sociale importante – bourgeois –. Cet « inégalitarisme » conduit par exemple, sur le plan de la justice, à ce qu’on nomme une justice à « deux vitesses », une pour les riches, et l’autre pour les pauvres. Le consciencisme n’est pas l’une de ces philosophies. Les différences existent entre les hommes, certes, mais elles sont impropres à déterminer la valeur de l’individu.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

_____________________________________________________________________

Pensée du 12 novembre 12

CONSCIENCISME ET DIVINITE

« … le consciencisme est une philosophie profondément matérialiste (…) Strictement parlant, l’affirmation de la seule réalité de la matière est un athéisme (…) Bien que profondément enraciné dans le matérialisme, le consciencisme n’est pas nécessairement athée ».

Nkrumah K., Le consciencisme, tr. fr. L. Jospin, Paris, Payot, 1964, p. 128.

__________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Nkrumah est athée, mais sa doctrine n’est pas à son image sur ce plan car elle admet l’idée de Dieu. Comment cela est-il possible ? Ce matérialisme pour le moins insolite – à moins qu’on professe un matérialisme du type des stoïciens – a la particularité d’être dialectique, c’est-à-dire d’intégrer l’idée d’esprit à sa formulation à la différence du matérialisme serein qui lui, la récuse. Or Dieu est d’abord une idée et puisque le matérialisme dialectique de Nkrumah accepte l’existence de l’idée, il s’en faut de peu pour accepter aussi l’idée de Dieu. Mais si on conserve ce nom de Dieu, on n’en conserve pas les attributs. En effet, le Dieu que nous propose Nkrumah n’est pas un Dieu créateur de l’homme, mais bien un Dieu créature de l’homme car produit de son intellection par le biais de ce qu’il appelle la conversion catégorielle. L’objection vient directement d’elle-même : pourquoi garder le nom si on ne garde pas le contenu ? La critique est formulée par M. Hountondji en ces termes :

« A vrai dire, si on peut sans contradiction affirmer l’origine matérielle de l’esprit, on ne peut en revanche faire dériver Dieu de la matière sans renoncer au concept habituel de Dieu, lequel implique, entre autres attributs essentiels, l’infinité et l’antériorité absolue. Or, si on change le concept, on voit mal pourquoi on devrait garder le mot. Nkrumah tente ici, visiblement, de manger la chèvre et le chou. Sa volonté de synthèse aboutit en fait à un éclectisme » Hountondji P., Sur la « philosophie africaine », Yaoundé, CLE, 1980, p. 21.

Nkrumah a-t-il tort de tenter de réconcilier Dieu et le matérialisme ? M. Hountondji a-t-il raison de séparer les deux concepts ? Notre idée est que la philosophie ne pactise pas avec la religion et que les deux activités doivent être séparées ainsi que leurs objets : la société et Dieu.

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

_____________________________________________________________________

Pensée du 05 novembre 12

Utopie, histoire et histoire de la philosophie
 
« Le progrès suppose la continuité historique chère à l’ancienne génération des historiens africains. Ne peut-on pas aussi lire l’histoire africaine avec le modèle de la discontinuité qui relèverait non pas le réalisé, mais le non-encore réalisé et le refoulé ? ».
 
Bidima J.-G., La philosophie négro-africaine, Paris, PUF, coll. « QSJ », 1995, p. 31.
_________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

M. Bidima, par cette proposition de « discontinuité » qui caractérise sa philosophie de la « traversée » veut nous faire voir l’histoire par devant plutôt que par derrière ou au présent. Il s’attaque d’ailleurs à cette conception tripartite de l’espace-temps dans le livre que nous citons. Mais quelle est ce type d’histoire qui se fait au futur ? A l’évidence M. Bidima confond histoire et utopie, et plus loin, histoire et philosophie de l’histoire, car l’idée de téléologie ou de non-téléologie que défend notre auteur n’est rien que de la philosophie de l’histoire. Mais la philosophie de l’histoire, philosopher sur l’histoire, c’est-à-dire  se projeter dans le temps. En ce sens, elle est inévitablement utopie – ou pessimisme – quand au cours réel de l’histoire. Ici, c’est Hegel qui a indéfiniment raison : la philosophie ne vient que trop tard par rapport à l’histoire ; elle vient quand cette dernière est déjà réalisée. Mais cette vision de l’histoire n’est-elle pas trop réductrice ? Peut-on réellement réduire l’histoire à une « collecte de données » ? L’approche matérialiste de Marx et Engels peut grandement nous aider à enrichir ce concept d’histoire – même si par la fin, lui aussi, inévitablement, nous mène à ce que nous critiquions tout à l’heure : à l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire à l’utopie – de façon significative. Ce dernier ne devient donc plus la suite des évènements, mais le rapport de force entre le prolétariat et la bourgeoisie et les différents évènements qui résultent des stratégies de chacune des classes pour l’emporter. A ce niveau, le philosophe ne vient plus tard, il est dans l’histoire, il la voit (se) passer. Quoi qu’il en soit, le modèle utopiste de M. Bidima est une version insupportable de l’histoire qui doit, selon nous, être préférée à l’approche marxiste, car au moins, ici, l’homme est (au cœur de) l’histoire (et pas en dehors).

Par Jean Eric Bitang

Voir le blog

PHILOSOPHE OU OU PRESQUE…

______________________________________________________________________

Pensée du 08 septembre 12

« (…) La philosophie met l’accent sur l’usage de la raison. La question de la suprématie est consubstantielle à celle de l’usage de la raison, car si c’est la raison qui nous définit en tant qu’hommes, ce sont les premiers qui se sont “éveillés” à la raison qui doivent, parmi les hommes, diriger les autres. On comprend mieux l’acharnement occidental à faire naître la philosophie en Grèce : la raison est que cette localisation leur fournit la légitimité rationnelle pour exercer leur domination sur le reste des peuples de la terre. Est-ce un hasard si la “Raison” hégélienne ne traverse pas l’Afrique et s’épanouit comme par magie en Occident? »

(Extrait des commentaires à la pensée du 07 septembre 2012)

JEAN ERIC BITANG

___________________________________________________________________________

Pensée du 11 juin 12

Philosophie africaine et Philosophie

« Pour éviter l’écueil ethnophilosophique, il faut expressément souligner ce truisme : une philosophie négro-africaine est une philosophie ; les différentes philosophies ont beau être particulières et mêmes divergentes, elles sont néanmoins toutes philosophiques. »

Towa M., L’idée d’une philosophie négro-africaine, Yaoundé, CLE, 1997(1979), p. 5.

__________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

C’est pour tenter de faire reculer l’ethnophilosophie que M. Towa a écrit le texte duquel est extraite la présente citation qui nous sert ici de support de réflexion. Ce texte est le début du deuxième paragraphe de l’introduction de son livre. M. Towa veut montrer que les Africains et non-Africains qui défendent l’existence d’une philosophie négro-africaine doivent le faire suivant des normes elles-mêmes philosophiques et non en prétendant que la philosophie africaine est quelque chose d’autre que la philosophie. Mais plusieurs problèmes surgissent de cette affirmation. On pourrait demander à M. Towa, avec Kant : où est la philosophie ? Qui la possède ? Et à quoi peut-on la reconnaître ? La réponse la plus fréquente des critiques de M. Towa est que ce dernier situe la philosophie en Occident. Ceux qui la possèderaient étant donc les occidentaux. Mais un quelconque commerce avec l’œuvre de M. Towa nous montrera que le philosophe d’Endama approche le problème d’une toute autre manière : par la troisième des questions posées plus haut : à quoi reconnaît-on la philosophie ? A cette dernière question, M. Towa répond que la philosophie est « le débat conceptuel de nos problèmes existentiels » (id.) A partir de cette base, on peut aisément répondre aux deux premières questions. Pour ceux à qui ces réponses n’apparaîtraient pas d’elles-mêmes, nous nous permettons de les formuler.

Question : Où se situe la philosophie ?

Réponse : Partout où il y a des problèmes et des débats conceptuels sur ces derniers.

Question : Qui la possède ?

Réponse : Tous les êtres doués de raison.

Voir le blog de Jean Eric BITANG

_____________________________________________________________________

Pensée du 28 mai 12

Le rationalisme appliqué

« Il y a donc un créateur, autrement il n’y aurait pas eu de création. Ce créateur, qui nous a dotés d’intelligence et de raison, ne peut pas en être dépossédé lui-même. Car il nous a créés intelligents de l’abondance de son intelligence et ce même être comprend tout, crée tout et peut tout (…) « Ô mon créateur, donne-moi l’intelligence. »

Summer Cl., Sagesse éthiopienne, Paris, Editions Recherches sur les Civilisations, 1983, p. 63.

 __________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Nous avons vu il y a deux semaines que Zär’a Ya‛əqob accordait une très grande place à l’utilisation de la raison, c’est-à-dire de l’intelligence. Cette intelligence, selon le philosophe éthiopien, est la caractéristique principale de Dieu et c’est par elle que nous lui ressemblons. Pour Zär’a Ya‛əqob, dire que Dieu est intelligence, c’est dire qu’il est puissant. Puisqu’il a l’intelligence en abondance et que c’est de son intelligence que découlent toutes les autres, il a donc raison d’être qualifié de tout-puissant, car l’intelligence va de pair avec la puissance. Cette puissance n’est pas seulement l’intellection, la spéculation, c’est aussi la création et le pouvoir sur le réel comme le souligne à merveille le philosophe éthiopien. C’est pourquoi Zär’a Ya‛əqob ne demande pas à Dieu d’ « ouvrir son cœur aux merveilles de son amour » comme le recommande un cantique chrétien très célèbre, mais plutôt de lui donner de l’intelligence, c’est-à-dire de la puissance, non seulement pour comprendre les choses, mais pour pouvoir en créer et de cette façon avoir le pouvoir. La transposition de cette mise en relation de l’intelligence et du pouvoir à la sphère politique peut nous amener à penser que pour Zär’a Ya‛əqob, ce sont les gens qui savent et qui, de cette façon sont plus proches de Dieu, qui ont le pouvoir pour diriger la société, mais le philosophe ne s’occupe pas de politique et bien qu’on puisse faire cette analyse, nous nous en gardons. Remarquons toutefois que le rationalisme de Zär’a Ya‛əqob et la récurrence de la référence à Dieu ne se fait pas sous le couvert du dogmatisme et de la contemplation. Pour le philosophe éthiopien, le recours à Dieu et à son intelligence débouche sur une philosophie de la transformation du monde et de l’exercice du pouvoir de la raison dans ce dernier : le rationalisme devient donc appliqué et Zär’a Ya‛əqob aurait très bien pu écrire comme Bacon : « Knowledge is power ».

Voir le blog de Jean Eric BITANG

_____________________________________________________________________

Pensée du 23 avril 12

Philosophie ou Philosophies négro-africaine(s) ?

« Il n’y a pas une philosophie négro-africaine, on ne peut parler que des philosophies négro-africaines. La pluralité est ici liée à l’histoire africaine qui n’a ni unité de lieu (elle s’est déroulée en Afrique, mais aussi en Europe et aux Amériques), ni unité de temps. »

Bidima J.-G., La philosophie négro-africaine, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1995, p. 3. (Souligné par l’auteur).

__________________________________________________________________________________

GRILLE DE LECTURE

Selon M. Bidima, qui continue ici Kant, M. Houtondji et bien d’autres, il n’existe pas une philosophie négro-africaine parce que cette philosophie n’est pas une unité mais une double pluralité : d’espace d’abord et de temps ensuite. Pourquoi faire cette précision ? En réalité, M. Bidima veut justifier l’utilisation du singulier dans son titre, titre qu’il juge lui-même « d’intitulé massif » qui veut saisir les philosophies négro-africaines dans leur processus de fragmentation. Mais est-ce que cet argument est si intéressant qu’il n’y paraît ? M. Bidima argumente selon le fait que la philosophie africaine n’existe pas parce qu’il n’existe pas un lieu dans lequel s’est déroulée l’histoire africaine et qu’il n’existe pas un temps pendant lequel ladite philosophie se serait développée. Peut-on dire la même chose des diverses philosophies qui peuplent le monde ? Peut-on par exemple dire qu’il n’existe pas de philosophie française justement parce que l’histoire de la France ne s’est pas que déroulée en France ? Elle s’est parfois déroulée en Angleterre, mais surtout dans les colonies d’Afrique, et depuis l’histoire de la « françafrique » et de l’influence d’Omar Bongo sur la politique française, on peut même se demander si, à un moment de l’histoire, l’histoire de la France n’était pas dictée par l’Afrique. En plus, il n’y a pas un temps – qu’il peut comprendre par une époque – pendant laquelle se serait déployé l’esprit français puisqu’il se déploie encore aujourd’hui ? Doit-on alors renoncer à parler de philosophie française ? Plus loin, qu’est-ce que la philosophie ? En effet, on devrait, puisqu’il n’existe ni un lieu ni un espace de temps dans lequel se serait développée la philosophie, conclure que la philosophie n’existe pas, et poser la question au pluriel : qu’est ce que les philosophies ? On comprend par là que l’argument de M. Bidima, développé jusque dans ses limites devient purement suicidaire.

Voir le blog de Jean Eric BITANG

_____________________________________________________________________