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Pensée du 12 décembre 09

« Il est si peu facile de parvenir au bonheur que chacun s’en éloigne d’autant plus qu’il s’y précipite avec plus d’ardeur »

SENEQUE, Dialogues, t.2, De la vie heureuse

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GRILLE DE LECTURE

Dans l’antiquité grecque, Epicuriens et Stoïciens entre autres rivalisaient de génie pour proposer à l’homme des voies du bonheur. Le lien entre vertu et bonheur était analytique selon l’expression de Kant, car ils étaient impliqués l’un dans l’autre. Que l’on définisse le bonheur dans ces écoles comme l’atteinte d’une sérénité intérieure sans encombres ou la recherche d’une vie harmonieuse avec le monde, ou encore comme un don de la Providence, il n’a jamais été à juste titre un état acquis définitivement.

Sénèque le rappelle dans son traité sur le bonheur. Il n’est jamais atteint parfaitement. C’est ce que réaffirmera Aristote. Sénèque est si radical qu’il voit un rapport d’opposition entre recherche et vécu du bonheur. Encore que la recherche du bonheur ne dispense pas l’homme des tribulations dues à la contingence de l’existence. Sinon, pourquoi les hommes de bien ne sont-ils pas exempts de malheurs ? Ceux qui ont pour eux la Providence doivent encore travailler à leur bonheur. Si le bonheur de l’homme n’est jamais garanti, et que le travail semble l’en éloigner, que faut-il faire ?

L’on peut seulement remarquer que bien des revirements et des disgrâces viennent souvent se jouer des vies qui escomptaient de meilleures destinées. C’est l’exemple des malheurs de Job dans la Bible chrétienne. Tel paraît être en général le sort réservé aux hommes justes. L’homme est-il né pour la souffrance ? Question philosophique !

L’angoisse de Job l’amené à s’interroger sur le sens profond de la vie et à sombrer dans la déréliction. Philippe Nemo affirme que « l’angoisse a plongé Job tout entier dans un lieu inconnu » au point que sa personne se trouvait altérée. Voilà qui est assurément le contraire de la vie heureuse souhaitée et recherchée par Job, que son observance scrupuleuse destinait à une vie soutenue par des conditions d’un bonheur stable. N’est-ce pas Sénèque qui a raison de nous ?

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 11 décembre

L’academos

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Pensée du 05 décembre 09

« C’est tout ce que mérite la bévue des ignorants qui supposent qu’en adoptant l’utilité comme critérium du bien et du mal, les utilitaristes donnent à ce mot le sens étroit et propre de la langue familière, qui oppose utilité au plaisir. »

JOHN STUART MILL, L’utilitarisme

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GRILLE DE LECTURE

Il n’est pas aisé de saisir ce que John Stuart Mill insinue dans ce passage. Nous savons que ce philosophe utilitariste à une réputation particulière. Georges Tanesse dit de lui qu’il un disciple indocile, plus brillant par son caractère que par sa clairvoyance. Il s’est très vite écarté de la ligne de son maître Bentham au moment de l’élaboration de sa philosophie pratique. Il s’est permis par exemple de reprocher à son père comme à son maître dans un ouvrage sans auteur de n’avoir eu qu’une vision très incomplète de la réalité. Le sentiment moral, l’obligation du devoir et la conscience morale leur auraient échappé.

Le philosophe John Stuart Mill n’a pas toujours défendu en l’état la doctrine utilitariste. Mais dans la pensée que nous analysons, il semble prendre la défense de l’utilitarisme. Il convient de savoir contre quoi il prend le parti utilitariste. Il s’excuse d’abord auprès des philosophes parce que les utilitaristes leur auraient donné l’impression d’opposer utilité et plaisir, alors que l’utilitarisme est traditionnellement accusé de réduire l’utilité au plaisir. John Stuart Mill y voit un contresens qu’il faut élucider. Pour lui, d’Epicure à Bentham, utilité rimait avait plaisir comme absence de douleur. Il reproche en réalité aux philosophes qui entretiennent cette confusion concernant l’utilitarisme leur légèreté d’esprit et leur prétention. C’est par ignorance qu’ils ont fait de ce terme un usage aussi erroné.

Ensuite, pour sauver l’utilitarisme de cet avilissement, John Stuart Mill ne s’est pas contenté de blanchir sa famille spirituelle. Il s’attaché à purifier la notion de plaisir. Que le bonheur soit la fin de l’action humaine, il ne trouve rien à redire. Mais il refuse de l’identifier à la satisfaction des désirs sans distinction de qualité. Pour lui, une hiérarchie de dignité entre les tendances s’impose. C’est à une redéfinition de l’utilitarisme qu’il a procédé, mais après avoir adressé des invectives à leurs prétentieux détracteurs.

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 04 décembre

L’academos

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Pensée du 03 décembre 09

« La responsabilité pour les autres n’a pas été un retour à soi, mais une crispation, irreboutable, que les limites de l’identité ne peuvent pas retenir. La récurrence se fait identité en faisant éclater les limites de l’identité, le principe de l’être en moi, l’intolérable repos en soi de la définition.»

EMMANUEL LEVINAS, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence

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GRILLE DE LECTURE

C’est un repas solide qui est servi au café philosophique de l’academos de ce jour. Qui pourra réaliser un saut dans cette pensée ? Ces mises en garde disent assez l’humilité dont nous nous armons avant de tenter d’arracher quelques miettes de compréhension à ce qui tombe de la table des grands.

La réflexion sur la responsabilité constitue l’un des thèmes fondamentaux de la pensée de Levinas. Nous avons donc le devoir de nous soumettre à l’analyse phénoménologique de ce penseur de la relation d’altérité afin de découvrir au cœur de celle-ci la « signifiance » de la responsabilité. Levinas essaye d’éveiller le Moi à la dimension d’une responsabilité indéclinable. Il nous révèle la relation absolue reliant la subjectivité et l’altérité.

Nous pouvons affirmer qu’en parlant d’une responsabilité pour l’autre, Levinas fait signe vers un double clivage. Deux pour l’autre se succèdent dialectiquement. Il y a un premier qui surgit du dévoilement de l’autre, et un second qui établit ma responsabilité. Figurons-nous que la montration de l’autre suscite déjà une crispation identitaire. Mais Levinas appelle à aller plus loin, c’est-à-dire, jusqu’à la substitution. L’appel récurrent de l’autre à venir à son secours fait éclater les limites de l’identité qui se décline désormais par l’impossible repos en soi.

La crispation de l’identité face au dévoilement est une passivité qui subit une nouvelle irruption, celle qui décuple notre responsabilité. En cela, le retour en soi comme le repos ne sont pas possibles. « Cette passivité de la récurrence à soi qui n’est pas cependant l’aliénation d’une identité trahie – que peut-elle d’autre sinon la substitution de moi aux autres ? » se demande Levinas (A. E. p. 144). Impossible de ne se soucier que de soi. Le Moi doit être responsable pour l’autre. La responsabilité dans l’obsession ou la récurrence de l’autre est une responsabilité du moi pour ce que le moi n’avait pas voulu.

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 02 Décembre

L’academos

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Pensée du 02 décembre 09

« La vérité consiste soit dans la découverte des rapports des idées considérées comme telles, soit dans la conformité de nos idées des objets aux objets tels qu’ils existent réellement.»

David Hume, Traité de la nature humaine

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GRILLE DE LECTURE

Qu’est-ce que la vérité ? Question philosophique inépuisable. Toute l’histoire de la pensée s’est attachée à décliner la vérité sous des modes variés. Avant la philosophie médiévale et moderne, Aristote avait peut-être fourni des bases de la définition de Hume en enseignant que le vrai et le faux ne sont pas dans les choses mais dans la pensée. Ainsi, la vérité comme adéquation de l’esprit avec la réalité,  la conformité de l’intellect avec le réel. Connaître cette conformité, c’est donc connaître la vérité, selon Hume.

Nous trouvons-nous en présence d’une conception matérielle de la vérité ? Kant affirme à la suite de Hume que « c’est dans l’accord avec les lois de l’entendement que consiste le formel de la vérité.»Si la vérité matérielle est l’accord de la pensée avec la chose considérée, la vérité formelle, elle, relève du principe de non contradiction qui met en jeu les lois universelles de l’entendement humain. Quant à Hume, il semble clairement faire signe vers l’accord de nos idées avec la réalité. Tout compte fait, Hume ne doit pas être si facilement rangé parmi les matérialistes.

Au-delà de ces définitions, l’on peut bien se demander si le vrai existe. La vérité est-elle une essence ou une production de l’esprit humain ? Le relativisme des Lumières invite à questionner davantage la vérité. C’est d’ailleurs ce qui a conduit Mucchellli Villani à dire que « la réalité est toujours réalité des choses, et la vérité est vérité des hommes ». En ce sens, la vérité est fonction de l’homme qui tente de l’appréhender. Elle dépend de nos idées, des idées que nous avons des objets qui existent réellement. S’il n’y a du vrai que selon l’esprit humain, il va sans dire que cette grille de lecture ne vaut que pour celui qui l’a écrite.

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 01 Décembre

L’academos

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[1] Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. Tremesaygues & Pacaud, PUF, 1997, p. 60.

Pensée du 27 novembre 09

« Il est si peu facile de parvenir au bonheur que chacun s’en éloigne d’autant plus qu’il s’y précipite avec plus d’ardeur »

SENEQUE, Dialogues, t.2, De la vie heureuse

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GRILLE DE LECTURE

Dans l’antiquité grecque, Epicuriens et Stoïciens entre autres rivalisaient de génie pour proposer à l’homme des voies du bonheur. Le lien entre vertu et bonheur était analytique selon l’expression de Kant, car ils étaient impliqués l’un dans l’autre. Que l’on définisse le bonheur dans ces écoles comme l’atteinte d’une sérénité intérieure sans encombres ou la recherche d’une vie harmonieuse avec le monde, ou encore comme un don de la Providence, il n’a jamais été à juste titre un état acquis définitivement.

Sénèque le rappelle dans son traité sur le bonheur. Il n’est jamais atteint parfaitement. C’est ce que réaffirmera Aristote. Sénèque est si radical qu’il voit un rapport d’opposition entre recherche et vécu du bonheur. Encore que la recherche du bonheur ne dispense pas l’homme des tribulations dues à la contingence de l’existence. Sinon, pourquoi les hommes de bien ne sont-ils pas exempts de malheurs ? Ceux qui ont pour eux la Providence doivent encore travailler à leur bonheur. Si le bonheur de l’homme n’est jamais garanti, et que le travail semble l’en éloigner, que faut-il faire ?

L’on peut seulement remarquer que bien des revirements et des disgrâces viennent souvent se jouer des vies qui escomptaient de meilleures destinées. C’est l’exemple des malheurs de Job dans la Bible chrétienne. Tel paraît être en général le sort réservé aux hommes justes. L’homme est-il né pour la souffrance ? Question philosophique !

L’angoisse de Job l’amené à s’interroger sur le sens profond de la vie et à sombrer dans la déréliction. Philippe Nemo affirme que « l’angoisse a plongé Job tout entier dans un lieu inconnu » au point que sa personne se trouvait altérée. Voilà qui est assurément le contraire de la vie heureuse souhaitée et recherchée par Job, que son observance scrupuleuse destinait à une vie soutenue par des conditions d’un bonheur stable. N’est-ce pas Sénèque qui a raison de nous ?

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 26 novembre

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[1] Sénèque, Dialogues, t.2, De la vie heureuse – De la brièveté de la vie, Paris, 1

[2] Philippe Nemo, Job et l’excès du mal, Paris, Grasset, 1978, p. 54.

Pensée du 26 novembre 09

« Il y a deux motions de la volonté, l’une relative à l’exercice de l’acte, l’autre à sa spécification, cette dernière provenant de l’objet. Du premier point de vue (exercice) aucun objet ne peut mouvoir nécessairement la volonté : je puis en effet m’abstenir de penser à quoi que ce soit, et par conséquent de ne pas le vouloir en acte. »

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, les actes humains.

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GRILLE DE LECTURE

Saint Thomas d’Aquin veut répondre à une question fondamentale. La volonté est-elle mue nécessairement par son objet ? C’est le problème moderne de l’autonomie de la volonté et de la liberté humaine qui semble être posé en ces termes.  LIRE LA SUITE DU COMMENTAIRE ICI

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 25 novembre

L’academos

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Pensée du 25 novembre 09

« Le rôle du principe d’équité des chances est de garantir que le système de coopération est un système basé sur une justice procédurale pure. »

John Rawls, Théorie de la justice

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GRILLE DE LECTURE

>>> LIRE LE COMMENTAIRE ICI

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 24 novembre

L’academos

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Pensée du 24 novembre 09

« Le prudent d’Aristote est plutôt dans la situation de l’artiste, qui a d’abord à faire, pour vivre dans un monde où il puisse être véritablement homme. La morale d’Aristote est, sinon par vocation, du moins par condition, une morale du faire, avant d’être et pour être une morale de l’être. »

Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote

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GRILLE DE LECTURE

Difficile de réfréner son plaisir devant l’hommage que le disciple rend à son maître. La prudence chez Aristote est un des traités de morale les plus consultés sur Aristote. Pierre Aubenque place la prudence au centre de la morale aristotélicienne. Et cette prudence n’est pas à confondre avec la passivité ou la morale couarde du moindre risque. Si elle se rapporte à l’être, c’est d’abord à un être conscient de la part active qu’il doit prendre dans le cosmos. Aristote ne confond pas la vie morale avec la contemplation sans action, ni avec la volonté droite, s’il en est une.  Pour lui, la vie morale commande d’adapter constamment les fins aux moyens et les moyens aux fins. Et c’est à cela que sert la prudence.

Cette définition de la prudence fait penser aux sages stoïciens qui se considéraient comme « une œuvre d’art » reflet d’un monde achevé. L’homme aristotélicien n’est pas a priori un sage. Aucun savoir humain ne peut combler l’abîme qui sépare l’homme de la sagesse. A défaut, il peut être au moins prudent. Cela requiert que l’homme agisse, faute de mieux. Pour Pierre Aubenque, vu la contingence du monde, et en attendant le pouvoir de réaliser en nous-mêmes l’ordre que nous contemplons dans le Ciel, il nous appartient d’ordonner le monde nous s’engageant prudemment en lui selon le vœu d’Aristote.

Aristote distingue l’habileté technique, indifférente à ses fins, de la prudence qui est morale dans ses fins comme dans ses moyens. Après Aristote, Kant définissait la prudence comme l’habileté dans le choix des moyens qui nous conduisent à notre propre bonheur. La morale est de l’ordre de action, et la prudence, du travail. La morale de la prudence vise l’être, le bonheur. La prudence est pour ce faire une vertu de l’action et de l’être. L’homme ne se rationalise que dans un faire qui vise l’être. C’est cette idée de prudence qui a sans doute inspiré André Comte-Sponville lorsqu’il écrivait que le principe de précaution n’est pas un principe d’inhibition mais de l’action. C’est pourquoi « le risque zéro, c’est de n’être pas né, ou d’être déjà mort. Vivons donc prudemment, mais sans nous laisser paralyser par la peur. »

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 23 novembre

L’academos

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Pensée du 21 novembre 09

« Je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement, sont toutes vraies ; mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement.»

René DESCARTES, Discours de la méthode

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GRILLE DE LECTURE

Par sa clarté, l’acte réflexif du « cogito » livre à Descartes la certitude qui justifie le doute qui le précède et fonde les découvertes qui suivent. Ayant abouti à cela, Descartes « jugea qu’il pouvait prendre pour règle générale que ce que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies. » Dans ses Principes de Philosophie, Descartes entend par idées claires et distinctes celles qui sont présentes et manifestes à l’esprit, et celles qui sont si précises qu’elles se qu’elles se distinguent nettement des autres.  C’est ainsi que doit être toute connaissance sur laquelle doit se porter un jugement indubitable.

La pensée des « idées claires et distinctes  est le propre de la raison. Tout ce que nous concevons à la lumière de la raison se veut clair et distinct, donc vrai. Tant que nous discernerons les choses clairement et distinctement, nous nous ne prendrons pas le faux pour le vrai.  Dans son Discours de la méthode, Descartes observe tout de même un écueil, il se rend bien compte qu’il y a quelque difficulté à bien remarquer quelles sont les idées que nous concevons clairement et distinctement. Comme s’il disait qu’il y a quelque difficulté à bien juger et à bien user de notre raison, de notre faculté de discernement. La difficulté réside dans la manière de considérer les choses, car il est difficile de considérer les choses comme il faut.

A la suite de la règle de l’évidence, Descartes se mit à réfléchir sur le fait qu’il doute. « En suite de quoi, faisant réflexion sur ce que je doutais. » Le doute nous est présenté comme une étape essentielle du parcours de Descartes. Il est même l’étape initiale de la recherche de Descartes. Pour s’assurer de la solidité de ses connaissances, il lui a fallu trouver une bonne fois pour toutes un fondement inébranlable à partir duquel il pouvait déduire tout le reste. Ainsi peut-on dire que la méthode cartésienne commence en réalité par la mise en doute systématique de toutes les connaissances qui nous semblent évidentes.

Le doute, c’est la mise en question et la réfutation volontaire et méthodique des connaissances. Il délivre de toutes sortes de préjugés ou de connaissances tâchées de germes obscurs. Il nous prépare le chemin pour accoutumer notre esprit à se détacher des sens et à s’élever à la certitude métaphysique, lieu de rencontre avec Dieu. Pour parvenir à la certitude du « cogito », Descartes s’est donc mis à douter de son savoir. Mais la nouveauté ici, c’est que Descartes fait réflexion sur le fait qu’il doute. Ce retour sur lui-même permet à Descartes de savoir qu’il n’était « pas tout parfait ». Il lui apparaît en pleine lumière que « c’était une plus grande perfection de connaître que de douter ».

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 20 novembre

L’academos

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Paul Ricoeur et le concept de temps

L’Atelier des concepts, Par Emmanuel AVONYO, op

Semaine du 09 novembre 2009

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Première partie

Aristote et Saint Augustin ont été deux grands concepteurs du temps. Aristote est le plus noble médiateur grec de la pensée philosophique du temps. Augustin, sur un fond de réflexion théologique empreinte de néo-platonisme, a enveloppé la notion de temps dans le contraste « temps-éternité ». Après ces deux monuments, le concept de temps est demeuré un sujet de scrutation permanente pour toute l’histoire de la philosophie. Kant, Hegel, Husserl, Heidegger se sont passé le témoin l’un après l’autre, chacun butant sur ses limites propres.

Paul Ricœur a consacré son immense trilogie de phénoménologie Temps et Récit à la complication (par l’accentuation et la saturation des apories) de ce qu’on savait de l’expérience temporelle (Temps et Récit III, p. 352). Il essaye de recouvrir l’aporétique du temps par une poétique du récit. Partant du constat de l’aporicité de principe de toute phénoménologie de la temporalité, il établit que la temporalité ne se laisse pas dire dans le discours direct d’une phénoménologie, mais requiert la médiation indirecte de la narration. Toute tentative d’exprimer le vécu du temps dans son immédiateté débouchant sur une aporie, Ricœur tient le récit pour le gardien du temps.

La nouveauté de cette entreprise réside dans le fait que le « temps raconté » vient dire la refiguration du temps par le récit. Si la fonction du récit est d’articuler le temps de manière à lui donner la forme d’une expérience humaine, le temps se présente de son côté comme le référent du récit. On ne sort pas facilement du cercle herméneutique de Ricœur. Avant d’exposer la conception  ricoeurienne de l’expérience temporelle qui culmine dans une poétique du temps, nous ferons un grand détour par la critique historique qu’il fait du concept. Dans l’Atelier des concepts de cette semaine, nous procédons à une brève présentation de la trilogie Temps et Récit et à une relecture de la critique qu’il fait du temps tel qu’Aristote et Saint Augustin l’ont conçu.

« TEMPS ET RECIT » DE PAUL RICOEUR

Temps et Récit comprend trois volumes publiés de 1983 à 1985. L‘intrigue et le récit historique (Tome 1), La configuration dans le récit de fiction (Tome 2) et Le temps raconté (Tome 3). Le temps est le thème philosophique majeur qui traverse Temps et récit. C’est un ouvrage que l’on peut avoir du mal à classer vu le nombre important de grands thèmes qui y sont abordés. Pour l’historien François Dosse, la trilogie Temps et Récit fut pour Ricoeur l’occasion de penser l’articulation du clivage entre un temps qui doit apparaître et un temps conçu comme condition des phénomènes.  Mais Temps et Récit est selon lui une oeuvre portant sur l’histoire (Paul Ricoeur, les sens d’une vie, La Découverte, 1997).

Un autre grand lecteur de Ricoeur, Olivier Mongin, a un point de vue qui sert un peu plus notre propos. Montrant que Temps et Récit a pour objectif de construire une médiation entre le temps et le récit par la médiation de la mise en intrigue,  il met en évidence l’importance du temps, du récit et de l’action dans cette vaste enquête philosophique (Paul Ricoeur, Seuil, 1994, p. 145). Ces deux points de vue ne sont pas pour autant opposables. Car c’est l’action humaine que le récit imite, c’est une histoire que le récit raconte. Entre temps et récit, s’insèrent nécessairement l’action humaine et l’histoire.

Le parcours philosophique de Paul Ricoeur éclaire davantage le sujet. Avant la rédaction de ces textes, Ricœur a dispensé des cours d’histoire de la philosophie sur le temps à la Sorbonne, à Nanterre et à Chicago. Il a par la suite écrit des articles (par exemple Narrativité, 1980) sur l’expérience humaine du temps et sa fonction narrative. Il affirme dans son autobiographie intellectuelle que Temps et récit lui a permis de porter à un plus haut niveau de réflexion l’intuition contenue dans ce qu’il appelle « ses galops d’essai » sur le temps et la narrativité (Réflexion faite, Esprit, 1995, p. 63). A juste titre, dans Temps et Récit, Paul Ricœur tient l’hypothèse fondamentale selon laquelle le récit n’achève sa course que dans l’expérience du lecteur dont il « refigure » l’expérience temporelle.

Parmi les raisons qui sous-tendent cet intérêt pour la question du temps par la porte du récit, il y a les productions antérieures de Ricœur sur l’historiographie et le sens de l’histoire dans lesquelles la structure narrative de l’histoire et ses implications pour une philosophie du temps n’étaient pas encore prises en compte. Il y a surtout « les traits remarquables du récit en tant que structure langagière distincte ». La rencontre avec une épistémologie narrativiste (relation entre connaissance historique et structures narratives) à Chicago et avec l’exégèse biblique aurait facilité cette entrée dans la question du temps par le récit.

Ainsi pour Ricœur, il y avait un rapport de conditionnement mutuel entre narrativité et temporalité. Il réalise que « la notion de temps reste un nœud de difficultés et d’apories apparemment sans issue ». Malgré cet horizon de recherche conditionné, un examen minutieux des grandes analyses du temps chez Augustin, Husserl et Heidegger ont ponctué la troisième partie de Temps et Récit. Ricœur essaye de rendre compte de l’enchevêtrement du passé, du futur et du présent respectivement comme milieu du souvenir et de l’histoire, milieu de l’attente, de la crainte et de l’espoir, moment d’attention et d’initiative. En se mesurant sur l’ogre aristotélicien, Augustin a attiré l’attention sur le caractère aporétique du temps.

L’IMPOSSIBLE REFUTATION DE LA THESE COSMOLOGIQUE D’ARISTOTE

Pour Augustin, le temps comme distension de l’âme (distentio animi) est la possibilité de la mesure du temps. Les divisions du temps en jours, en années sont des propriétés du temps présent. Le principe de l’extension de la mesure du temps ressortit à la seule distension de l’esprit. Ainsi, la mesure est une propriété authentique du temps. On pourrait appeler cette approche intime du temps le « temps intérieur ».

En effet, Saint Augustin ne veut pas identifier le temps aux mouvements circulaires des astres. « J’ai entendu dire à un docte (allusion faite à Aristote) que le temps, c’est proprement le mouvement du soleil, de la lune et des astres. Je ne suis pas de son avis. » Augustin refuse ce temps astral car il n’est pas justifié que si les astres s’arrêtaient, il n’y aurait plus de temps pour mesurer le mouvement des corps. Il rejette ainsi la conception purement cosmologique du mouvement temporel et se met à chercher dans la distension de l’esprit le principe de l’extension du temps (Confessions, Livre XI, 23, p. 272 ss).

Or en procédant ainsi, saint Augustin semble rater complètement sa cible. Selon Ricœur, la théorie aristotélicienne du temps est éminemment plus subtile qu’Augustin ne le pense. Aristote n’identifie pas entièrement le temps au mouvement qui cristallise l’attention d’Augustin. Il affirme seulement que « le temps est quelque chose du mouvement » et que c’est l’âme ou l’intellect qui nombre le temps. Augustin soutient aussi que c’est l’âme qui mesure le temps. Ce qui revient à dire que la réfutation du temps cosmologique n’est qu’une continuation de cette théorie d’Aristote. C’est pour cette raison que Paul Ricœur écrit au sujet du débat Aristote et Augustin que « l’échec majeure de la théorie augustinienne est de n’avoir pas réussi à substituer une conception psychologique du temps à une conception cosmologique » (Temps et Récit III, Paris, Seuil, 1985, p. 19.)

Augustin, un maître incontesté

En tirant ce constat d’échec, Ricœur ne manque pas de saluer le mérite d’Augustin. Il souligne qu’insister sur les apories de la conception augustinienne du temps avant de faire paraître celles qui surgissent chez quelques-uns de ses successeurs, ce n’est pas renier sa grandeur. Car en dépit de la superposition de la psychologie du temps à la cosmologie d’Aristote, l’entreprise d’Augustin constitue un « irrécusable progrès par rapport à toute cosmologie du temps ». Augustin est un maître incontesté (maîtrise paradoxale certes), en dépit du génie certain de Husserl et de Heidegger.

En fait, c’est l’analyse augustinienne de l’expérience du temps intérieur qui a révélé l’aporie selon laquelle il est impossible de dériver le temps de l’âme des structures cosmologiques du temps. (Réflexion faite, Esprit, 1995, p. 67) Quant à  Husserl et Heidegger, ils représentent selon notre philosophe les « deux exemples canoniques » de  phénoménologues du temps : la phénoménologie de la conscience intime du temps chez Husserl et la phénoménologie herméneutique  de la temporalité chez Heidegger.

L’échec d’Augustin n’est pas qu’un manquement de cible dans la critique par le fait d’une identification simpliste du temps au mouvement. C’est aussi l’échec du caractère insoutenable de son argumentation mal engagée dès le début. « Il n’est tout simplement pas vrai, observe Ricœur, qu’un jour resterait ce que nous appelons un jour s’il n’était pas mesuré par le mouvement du soleil.» (Temps et Récit, III, p. 20) Augustin aurait pensé que les astres ne sont que des signes astraux (Ricœur dit « luminaires ») qui marquent le temps. Alors que le temps n’est ni le mouvement des astres ni celui d’un corps.

L’échec d’Augustin a aussi  consisté à dériver le principe de la mesure du temps de la seule distension de l’esprit. Si l’extension du temps psychique ne se laisse pas dériver de la distension de l’âme, la réciproque s’impose avec le même caractère contraignant. L’impossibilité de la dérivation inverse provient de l’écart, conceptuellement infranchissable, entre la notion d’instant d’Aristote et celle du présent au sens d’Augustin. N’importe quelle coupure de la continuité du mouvement (c’est-à-dire l’instant) peut être le présent de saint Augustin. Jusqu’à Kant, la plus grande aporie du temps se situe dans la dualité de l’instant et du présent. (Temps et Récit, III, p. 30-31)

Cette impasse amène Ricœur à aborder le problème du temps du point de vue de la nature, de l’univers et du monde sans exclure aucun élément. Parce que pour faire l’économie de cet échec, « il importe à une théorie narrative du temps que soient laissés libres les deux accès au problème du temps : par le côté de l’esprit et par celui du monde. » (Temps et Récit III, p. 22) Ricœur se pose en conciliateur des théories qui ne s’accordent pas à priori. On pourrait se douter qu’il va tout droit dans une nouvelle impasse. Il mesure tout de même la difficulté de l’entreprise puisque l’aporie de la temporalité découle de la tentative de dérivation ou d’ajustement des deux bouts de la chaîne que sont le temps de l’âme et le temps du monde, le temps physique (cosmologique) et le temps psychologique (phénoménologique). Il savait qu’était vain de tenter de dériver l’un de l’autre.

La confrontation Aristote-Augustin n’a pas connu de perdant. Augustin n’a pas réussi à démonter la théorie cosmologique du temps afin de lui substituer le temps de l’âme. Bien plus, aucune alliance ne semble possible si chacun conserve ses prémisses intactes. Le choix n’est pas aisé entre Aristote et Augustin, mais jamais les deux à la fois sans occulter l’un au profit de l’autre. L’aporétique du temps sent le roussi. L’atelier de la semaine prochaine nous permettra de cerner ce en quoi consistent réellement les apories du temps, et peut-être de nous frayer un chemin vers la modernité.

L’atelier des concepts,

Emmanuel AVONYO, op

Aristote et Saint Augustin sur le temps

A suivre :

>>> L’APORETIQUE DU TEMPS

Aristote-Augustin

Husserl-Kant

Heidegger et le concept « vulgaire » du temps

>>> LA POETIQUE DU TEMPS

Pensée du 06 novembre

« Comment parler de patrie à un individu qui a ‘mal tourné’, qui se soucie plus de sa forme que de son âme ? Or, dans le contexte d’une Afrique en quête de bien-être, ce qui préoccupe les individus, ce n’est pas tant d’avoir une âme que d’avoir ‘la forme’… Notre présent est un présent sans mémoire qui, de plus, se refuse à passer, qui a, autrement dit, le culte de la jeunesse, de la nouveauté.»

Saïdou Pierre OUATTARA, Fec, Quel chemin vers une Patrie en Afrique ?

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GRILLE DE LECTURE

La philosophie en Afrique, c’est le lieu de le dire, s’oriente de façon résolue vers une irénisme critique et une autocritique courageuse. Pour être véritablement libératrice et assumer pleinement les aspirations des peuples africains, la philosophie doit être une pensée qui irrigue la vie des hommes et de leur société. Cela ne saurait se faire sans une rationalité philosophique incarnée et débarrassée des scories des complexes induits par les dénégations de l’Histoire à la couleur blanche. Or, certaines couches d’hommes du Continent Noir, plongées dans la jouissance d’un bien-être immédiat, semblent peu réceptives à ce vent de renouveau.

Le philosophe africain Saïdou Pierre OUATTARA tire la sonnette d’alarme pour inviter à une prise de conscience de l’être-là de l’Africain. Il entreprend de dessiner la configuration de la raison en Afrique aujourd’hui dans Quel chemin vers une Patrie en Afrique ? Il tire des conclusions sans complaisance : l’Africain se donne à saisir comme un être sans Patrie, un être de surface vivant à la périphérie de son être, un être préoccupé de sa forme et de ses rondeurs, un être en quête d’un savoir oublieux de l’être. L’Afrique a mal tourné parce qu’elle  est la mère des fils qui ont le culte d’un passé jamais révolu ou qui refusent simplement de ‘passer’. La vaine célébration du passé n’apporte aucune solution aux défis du monde actuel.

L’Afrique a mal tourné, parce qu’elle est écartelée entre la célébration nostalgique d’un passé absent et la délectation morbide d’une nouveauté sans âme. L’Afrique est tiraillée entre la perte de la mémoire de l’origine et la transplantation des modèles exogènes sur sa terre natale. En conséquence, l’Afrique a mal à l’être, elle est en mal d’être faute de mémoire. Le mépris du passé est une expression de la dénégation de son être en tant que don. Etre ne consiste pas non plus à se bloquer à une phase de son développement ou à oublier sa provenance. L’Afrique ne doit pas se complaire dans une tautologie implicite du genre « je suis ce que je suis maintenant ». Il lui faut une âme, une mémoire.

Mais la mémoire n’est pas la répétition du même. La mémoire est une œuvre philosophique qu’il ne faut pas confiner dans le culte de la forme et des traditions. Se recevoir comme fils d’une patrie suppose qu’on se soucie de la conquête d’une intériorité, œuvre de pensée. L’Afrique ne parviendra à édifier une Patrie de la raison qu’en accédant à un savoir authentique qui se répercutera sur la vie sociale. La société africaine dans son rôle de mère doit apprendre à assurer à travers le service de la pensée de quoi nourrir la postérité. La Patrie à laquelle Saïdou Pierre OUATTARA nous convie est celle de la rationalité philosophique, une Patrie de la conscience d’être avec les autres dans une humanité solidaire et riche de promesses.

Emmanuel Sena AVONYO, op


Pensée du 05 novembre

SOMMAIRE >>>

>>>NUL N’ENTRE ICI S’IL N’EST GEOMETRE

L’être et le langage, l’originaire discursivité de l’homme

Réponse d’Elvis-Aubin KLAOUROU aux réactions de la grille de lecture de la pensée du jour du 04 novembre >>> LIRE LES PROPOS DU DEBAT)

Bien aimé autre dans le voisinage du Tout Autre,

L’Etre est ce qui fait que les choses en présence sont ce qu’elles sont. Il est ce qui sans temps vient faire irruption dans le temps pour ensuite se retirer comme un éclair. De ce point de vue, il est présence retirée mais qui n’est pas un retranchement.  Aussi en résulte-t-il que l’ETRE ne se laisse pas capturer par un énoncé puisqu’il est de sa quiddité même de se dérober en sa vérité, de s’y abriter et de s’héberger lui-même dans cet abri[1].

Pourtant il ne cesse de se dire dans le questionner suscité en l’homme. Dès lors une question se pose : sur quel mode propre de l’ÊTRE, le langage devient demeure de l’ÊTRE ? Nous pourrons provisoirement répondre que le langage en tant qu’il débouche sur la ‘‘poiésis’’ est  la demeure de l’Etre dans son mode propre, de ce qui se communique, se dit,  se donne (es gibt). L’impuissance du langage conceptuel dans ce cas devient fort heureusement ce qui conduit la pensée devant la chose.

Or si ce préalable vous agrée, vous pourrez convenir avec nous que dans ce langage, qui déborde les frontières du concept, se soustrayant ipso facto à la logique et qui se fait création, se trouve posée l’essence de l’homme, ce beau poème commencé par l’Etre. Du coup l’on pourrait sans risque d’erreurs affirmer que l’homme cohabite avec l’Etre dans le langage puisqu’il constitue leur mode d’être. Cette affirmation semble se heurter à un écueil que nous révèle votre interrogation à savoir : comment l’homme peut-il cohabiter avec l’Etre dans le langage comme lieu d’un amarrage existentiel ?

La virulence de cette question suscite en nous le besoin de faire une herméneutique du langage comme lieu de cohabitation de l’homme avec l’ETRE. A cet effet, nous voulons signifier que la cohabitation dont il est ici question tourne le dos à une quelconque familiarisation entre l’ETRE et l’homme. Il s’agit ici de comprendre que l’homme est le locataire de la maison de l’ETRE qui est le langage. L’homme donc cohabite avec l’ETRE par le biais du langage selon que l’homme se tient en présence (anwessen) de l’ouvert, une présence qui se fait écoute et obéissance à la voix de l’ETRE. Cette cohabitation ne signifie nullement possession de L’ETRE.  En ce sens, Gadamer présente l’être et le langage comme l’« originaire discursivité de l’homme » : l’élément constitutif du monde et de l’homme. Le langage est, dit-il, de l’événementiel.

C’est d’ailleurs dans cette perspective  que le caractère fugitif de l’ETRE fait venir au jour le questionner qui invite à la patience. Car savoir questionner revient à savoir attendre et même toute une vie. Parce que justement, le Dieu songeant déteste la croissance prématurée.

En outre, le caractère fugitif de l’ÊTRE ne pourrait-il pas fonder en raison ce qui fait que le Dasein prenant conscience de sa finitude est « être de projet » ? Un être pro-jet qui le mène en avant et lui donne de rencontrer l’océan de l’autre que vous présentez avec Derrida comme secret. Mais au fond, ce secret dont l’autre serait le représentant n’est-il pas justement chemin de mon humanisation ? Ce secret ne consiste-t-il pas à me révéler l’autre comme le médium de la rencontre du soi? (Cf. GADAMAER Hans Georg)

En fait ces lignes ont voulu être l’épiphanie d’une volonté de penser. Et puisque penser voudrait dire merci, voudriez vous Emmanuel (ami avec lequel nous mangeons le sel de la marche philosophique)  et vous cher internaute, lire ces lignes comme notre profonde gratitude pour l’apport que vous nous faites dans notre pèlerinage vers le Tout Autre.  Nous restons toutefois persuadé que nous nous devons de penser de façon oecuménique à cause du fait que la vérité est symphonique. Dans cette perspective, elle ne peut être trouvée qu’au moins à deux. Puissions-nous dans un proche avenir méditer vos intuitions sur la question puisque dans chaque questionner se dresse déjà le visage de la réponse.


[1] Martin Heidegger, Chemin qui ne mène nulle part, trad. Wofgang BROKMEIR, Paris, Gallimard, 1962, p. 369.

Quelle déontologie de la justice pour une paix sociale durable ?

Emmanuel Sena AVONYO, op

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>>>La justice a-t-elle besoin de déontologie ?

La question qui viendrait à l’esprit à la lecture de ce titre pourrait être celle de savoir si la paix avait besoin d’une déontologie. Après avoir mis sur pied des stratégies de la guerre juste, le moment n’est-il pas venu de penser les moyens pour parvenir à la paix dans la justice ? Dans le contexte de notre étude sur la justice comme équité, la paix est engagée aux deux niveaux où les principes de justice sont envisagés. Le non respect des libertés et l’injuste répartition des avantages peuvent entraîner des conflits sociaux de grande envergure que le contrat fictif de la justice comme équité dans sa formulation rawlsienne entend prévenir. Cette réflexion n’entend pas épiloguer sur les modalités de la paix. Elle s’interroge sur le type de justice nécessaire à la paix. Nos précédentes publications nous ont montré Ricoeur aux prises avec Rawls dans une discussion philosophique serrée.

De son côté, en mettant en doute la capacité de la procédure contractuelle à engendrer les principes de justice, Ricœur veut établir que la logique de réciprocité et d’équivalence de la justice est insuffisante pour garantir la paix sociale. D’où le dépassement de l’économie de l’équivalence par une éthique de l’amitié civique gouvernée par l’économie du don. Concrètement, comment Ricœur parvient-il à ce seuil d’interprétation religieuse de la justice rawlsienne ? Rawls a-t-il prêté le flanc à une interprétation théologique des présupposés de sa pensée ? Cette interprétation ne se tient-elle pas déjà en dehors du cadre politique (public) défini par Rawls ? Commençons par comprendre le consensus par recoupement, essentiel à une recherche de paix sociale, avant de passer à la lecture de l’interprétation ricoeurienne de Rawls.

1  Le consensus par recoupement peut-il être un gage de stabilité ?

La conception politique et libérale de la justice est concernée par la question de la paix. Nous conviendrons de prendre « paix durable » et « stabilité » comme désignant la même réalité politique. Le consensus par recoupement est un préalable à cette paix. Il peut être considéré comme la principale prémisse d’une déontologie rawlsienne de la paix. Ricœur affirme dans Après Théorie de la justice ( Le Juste, Paris, Editions Esprit, 1995, p. 117-119) qu’en dehors de l’idée d’un consensus par recoupement, « la théorie de la justice ne reposait que sur une stratégie d’évitement des controverses… » Il fait ainsi référence au principe de la maximisation de la part minimum compris dans le principe de différence. L’évitement des risques conduit à n’accepter que l’inégalité la moins onéreuse pour les plus défavorisés.

En fait, s’agissant du consensus par regroupement, John Rawls veut savoir comment une société démocratique juste, composée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés par des doctrines incompatibles entre elles, religieuses, philosophiques et morales, peut exister de manière stable et durable (Théorie de la justice, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil, 1997, p. 427). L’idée d’un consensus par recoupement permet de comprendre comment un régime constitutionnel, caractérisé par le fait du pluralisme (existence de doctrines conflictuelles), pourrait assurer, malgré des divisions profondes et grâce à la reconnaissance publique d’une conception politique raisonnable de la justice, la stabilité et l’unité sociales.

Ricœur observe que Rawls a fondé le respect et l’application des actes de la conception publique de la justice sur la présupposition du sens de la justice des partenaires. En réalité, vu la division des partenaires, les controverses ne peuvent être évitées que dans l’acceptation de l’idée d’un désaccord raisonnable qui est un désaccord entre des personnes raisonnables ayant développé leur sens de la justice et leur conception du bien. Le consensus est censé permettre un recoupement des conceptions rivales du bien selon les différentes croyances religieuses, philosophiques et morales, sur la base des préceptes de la discussion raisonnable (Habermas). Le consensus conduit à reconnaître que la stabilité politique dépend d’une sorte de dissensus qui serait le corrélat intrinsèque et nécessaire de tout accord politique.

Le consensus par recoupement est donc une nécessité impliquée par le fait du pluralisme, il veut réaliser l’accord minimum des points de vue divergents autour de la justice comme équité et garantir la stabilité politique. Les principes s’adressent à la raison publique de l’ensemble des citoyens dans l’espoir de réaliser un accord satisfaisant autour du juste. Le consentement public à la justice comme équité ne doit pas se faire sous la contrainte et les sanctions mais dans une délibération franche et libre, afin que cette situation ne compromette pas la stabilité recherchée. Nous dirons schématiquement que pour Rawls, le consensus par recoupement, ce vecteur de paix sociale, est un accord politique dissensuel entre les positions rivales.

Si la structure et le contenu de la conception politique de la justice obtiennent le soutien d’un consensus par recoupement, les principes de la justice et ses idéaux devraient offrir aux membres d’une société bien ordonnée un sens de la justice suffisamment solide pour contrebalancer les tendances à l’injustice. Les citoyens étant rationnels et raisonnables, ils rechercheront toujours la stabilité politique dans l’esprit du consensus. Comme pour donner raison à Ricœur, Rawls reconnaît dans la préface de Justice et démocratie que la non prise en compte du fait du pluralisme et la supposition utopique d’un parfait accord dans la position originelle pourraient être un frein à la réalisation d’un consensus par recoupement, et donc, à la stabilité politique.

L’interprétation de la justice comme équité par Ricœur vise surtout à en faire ressortir les présupposés moraux. A la base de l’équité de distribution et de la logique d’équivalence, Ricœur semble percevoir une morale de la Règle d’or qu’il présente sur le plan philosophique comme le principe suprême de moralité sans référence théologique nécessaire. La justice, pour honorer les attentes sociales auxquelles elle veut satisfaire, doit se faire épurer par la Règle d’or.

2    La justice comme équité à l’épreuve de la Règle d’or

Nous allons à présent examiner les contours de la justice comme équité à travers la grille morale de la Règle d’or. Selon Ricœur, le sens de justice que présuppose le formalisme rawlsien s’apparente à la logique d’équivalence et de réciprocité contenue dans la Règle d’or. Nous verrons en quoi elle implique une réplique de la conviction aux pesanteurs de la justice et de la paix et suggère une éthique de la surabondance.

a)        De la nécessité de la Règle d’or

Raymond Aron écrivait qu’il y a de bonnes et de mauvaises démocraties ( Raymond Chappuis, La solidarité. L’éthique des relations humaines, coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1999, p. 72). Si la démocratie et ses principes venaient à être coupés de leur finalité politique pour servir des intérêts purement formels, particuliers ou partisans, ils deviendront de dangereuses entraves à la justice qui se répercuteront durablement sur la paix sociale. C’est l’arrière-fond de la critique du formalisme de la justice. Selon Ricœur, la fondation de la démocratie et de la justice ne peut être qu’imparfaitement procédurale. Il soutient que la démocratie procédurale et la justice formelle ne s’auto-suffisent pas en termes de fondements. Car tout le problème de la justification de l’idée de justice tourne autour de la difficulté suivante : « une théorie contractualiste est-elle susceptible de substituer une approche procédurale à toute tentative pour fonder la justice sur quelques convictions préalables concernant le bien du tout, le bien commun de la politeia, le bien de la république… » ( Le Juste, Paris, Editions Esprit, 1995, p. 72).

En effet, la notion de justice comme équité met en valeur l’égalité et la liberté dont les principes sont définis dans un cadre consensuel mais hypothétique. C’est-à-dire que le contrat relève d’une pure expérience de pensée. Il satisfait aux exigences formelles d’une démocratie constitutionnelle par une justice processuelle. Or un processus qui ne part pas d’un sens de la justice est vide à la manière d’un concept sans un sens de la justice. Les concepts démocratiques purement formels, comme des théorèmes abstraits de justice sans racines dans l’histoire, sans ancrage « empirique » dans des convictions sont inopérants. Il revient à dire que la démocratie et la justice requièrent un fondement solide et une traduction dans la vie des hommes. C’est pourquoi la justice comme équité doit passer l’épreuve d’une interprétation à partir de la Règle d’or adossée à l’impératif catégorique de Kant. Qu’est-ce que la Règle d’or ? Quelle convergence présente-elle avec la justice rawlsienne et ricoeurienne ?

b)    La morale universelle de la Règle d’or

La Règle d’or est une maxime morale à prétention universelle qui propose de conformer son agir à l’égard d’autrui à ce qu’on attendrait soi-même de sa part. Paul Ricœur distingue, dans ses développements sur la « sollicitude et la norme » ( Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 255 s.), entre une formulation négative et positive de la Règle. La version négative s’illustre chez Hillel (« Ne fais pas à ton prochain ce que tu détesterais qu’il te soit fait ») alors que la version positive se trouve dans les Evangiles, par exemple : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. » (Luc 6, 31). La pratique de la Règle d’or remonte à la Chine de Confucius ainsi qu’à l’Égypte pharaonique. Elle a traversé les grandes religions révélées et irrigue à juste titre les trois grandes sources de la pensée occidentale que sont la philosophie grecque, le judaïsme (avec le rabbi Hillel) puis l’Evangile, au cœur du Sermon sur la Montagne.

La Règle d’or est la pierre de touche de l’éthique de Ricœur dans Soi-même comme un autre (Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 255). D’une part, dans une herméneutique pratique du concept de justice, la Règle d’or permet de prévenir la dissociation du juste et du bon. Ensuite, elle conduit le soi à ne pas regarder uniquement son bien être, mais à penser au mouvement réflexif de son action. Elle consiste surtout à nous mettre à la place de l’autre, à ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’on nous fasse (Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 624.), et peut être prise pour un présupposé essentiel à toute justification procédurale (imparfaite) de la justice rawlsienne. En clair, Ricœur atteste que la procédure formelle est secrètement gouvernée par la « conviction bien pesée » qu’est Règle d’or. Celle-ci trouve une expression adéquate dans l’impératif catégorique kantien en tant que fondement légitime et justification dernière de l’action Mais la Règle n’est pas régie que par une logique de réciprocité et d’équivalence. Elle fait signe vers la gratuité.

Ne pas dissocier le juste du bien, c’est non seulement reconnaître que toute procédure repose sur une conviction, mais encore faire place à une éthique de la justice. Ainsi l’interprétation ricoeurienne de la Règle d’or prend en compte la notion d’asymétrie relationnelle. La réflexivité asymétrique de l’agir humain s’y donne à comprendre comme la conséquence de la dissymétrie entre le moi et l’autre, et du caractère indépassable de l’altérité (Husserl, Levinas) (Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004, p. 374-375). Cette dissymétrie, « cette indépassable différence qui fait que l’un n’est pas l’autre » ( Parcours de la reconnaissance, p. 225), justifie le lien entre réciprocité et gratuité dans l’interprétation de la Règle d’or. Celle-ci articule le commandement d’amour désintéressé et le souci d’une relation de justice. Elle constitue visiblement un enrichissement du juste comme équité. Mais on peut se demander pour quelle raison Ricœur prend-il autant de liberté avec la pensée de Rawls ?

Il est surprenant que Ricœur parvienne à ce tournant philosophico-théologique alors que Soi-même comme un autre semble « professer » une discipline agnostique à cause de l’indécision du statut de l’Autre. D’ordinaire, Ricoeur refuse de faire jouer à la foi biblique le rôle de solution ultime des apories philosophiques comme le temps, l’Autre, l’identité. Ce tournant théologal s’explique par le fait que la Règle d’or bénéficie chez Ricœur d’une double interprétation (philosophique et théologique). Il vise à prémunir la justice contre le risque de corruption. L’épuration de la justice ne saurait rester à l’étape de la pure équivalence.  En fait, l’on peut bien se prévaloir de la pure réciprocité pour justifier la loi du talion (que la Règle d’or est censée corriger) et rééditer des actes subversifs et criminels capables de mettre à mal la paix sociale.

L’on peut penser que dans la vision de Ricœur, le risque que la Règle d’or, la lame de fond de l’équité, soit abolie dans le commandement de l’amour est moins grand que l’inféodation de la justice par la loi du talion. L’équité relationnelle est un fait positif, la justice sur fond d’amour désintéressé en est un autre. La justice qui incline à l’amitié et à l’amour du prochain sort des rapports égalitaires soupçonneux vis-à-vis de l’autre, car déjà « l’amitié apparaît comme un milieu où le soi et l’autre partagent à égalité le même souhait de vivre ensemble.» (Soi-même comme un autre, p. 225). Cette lecture ne semble pas être aux antipodes des objectifs du juste comme équité. Olivier Mongin (Paul Ricœur, Paris, Editions du Seuil, 1994, p. 233) faisait savoir que Ricœur ne pense pas qu’il y ait opposition radiale entre logique d’équivalence et logique de la surabondance. Essayons de voir en quoi consiste une justice informée par la Règle d’or et l’éthique de la surabondance.

3     Amour et justice, horizon de paix sociale

Nous allons montrer que pour une justice sociale sans calcul, l’économie du don est une fondation sûre pour l’éthique. Cette éthique de la justice ressemble à une ellipse à deux foyers où l’argumentation philosophique et les sources non philosophiques de ses convictions se côtoient sans s’exclure.

a)  Le commandement d’amour : le non-dit du juste comme équité

« Amour et Justice » est le titre d’une conférence donnée par Paul Ricœur à Tübingen en 1989 (Amour et Justice, Paris, Points, Coll. « Points Essais », 2008). Dans ce petit texte d’une centaine de pages, Paul Ricœur concentre l’essentiel de son éthique sous la forme d’une herméneutique pratique où se rencontrent, dans une tension vivante, le philosophique et le théologique. Il pose l’amour comme le gardien de la justice menacée par le légalisme et l’utilité. Si la Règle d’or ne s’applique que dans un contexte de sollicitude dissymétrique, malgré la place que tient le soi comme un autre, seule l’économie du don permet à la justice de tenir la route difficile de l’équité sans calculs.

Aussi, la justice comme équité, même épurée par la Règle d’or, doit encore consentir à un dépassement d’une justice purement légaliste et réciproque vers l’horizon de la gratuité et du don. Pour une déontologie de la paix, l’éthique de la surabondance de Ricœur se positionne comme le gardien de l’équité rawlsienne et l’horizon nécessaire de la paix sociale. Car le principe de différence, qui tolère des inégalités les moins condamnables en faveur des plus désavantagés, recèle un fond d’asymétrie qui conduit vers l’éthique de la surabondance prônée par Ricœur.

Dans la mesure où la Règle d’or pourrait se pervertir dans un calcul de type utilitariste et d’échanges d’intérêts bien compris, Ricœur jugea nécessaire de l’infléchir par une logique du don, de l’amour ou de la surabondance qui prescrit de « donner à autrui sans rien attendre en retour ». Cette inflexion consiste à justifier une parenté secrète entre le second principe de justice et le commandement d’amour est une des présuppositions non dites du fameux équilibré réfléchi la théorie rawlsienne de la justice s’autorise.

Ricœur n’est pas le seul à faire cette lecture de la théorie de la justice : dans Solidarité, Ethique des relations humaines, Raymond Chappuis, commentant les inégalités socio-économiques que tolèrent la justice comme équité de Rawls, affirmait que l’égalité, la fraternité et la charité étaient comprises dans la sentence de Rawls (Raymond Chappuis, La solidarité. L’éthique des relations humaines, coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1999, p. 39). L’enjeu social de paix et les objectifs politiques poursuivis, s’agissant de la justice, n’inclinent-ils pas vraiment à mettre en harmonie l’ordre du droit et l’ordre de la charité ? Au regard de ces deux lectures, l’interprétation qui débouche sur le don ne travestit guère la pensée de John Rawls, elle en livre le sens de vérité.  Il apparaît que Ricœur ne fait qu’interpréter l’impensé de cette théorie de la justice. Il apparente la Règle d’or à une éthique de la surabondance pour mettre en évidence l’esprit de gratuité qu’implique la dissymétrie contenue dans les principes rawlsiens de justice.

Dans une logique de gratuité, des conflits pourraient ne plus dépendre des questions de distribution en matière économique. La majeure partie des affrontements pourraient être évités. Ricœur passe de l’équité au don passant par la Règle d’or et la sollicitude. Ayant compris que le désir d’éliminer autrui est à la racine de toutes les injustices et des clivages qui conduisent insidieusement à la guerre, Ricœur lie la Règle d’or à gratuité et à la sollicitude pour mettre en avant la possibilité d’une bienveillance, la positivité de l’affection et l’expérience fondamentale du caractère irremplaçable d’autrui. Soulignons deux conséquences de l’ouverture à l’économie du don : le commandement absolu de la gratuité fait éviter l’écueil de la loi du talion ou le caractère intéressé des échanges pervertissant la relation dialogique (Gaëlle Fiasse, L’autre et l’amitié chez Aristote et Paul Ricœur, Paris, Peeters, 2006, p. 142-143). Il évite aussi à Rawls lui-même de devenir utilitariste.

b)   La conviction, une réplique à la crise

Si notre société sortait de l’attachement excessif aux intérêts exclusifs et de domination pour construire une justice où l’action bienfaisante est commandée par une volonté bonne, les crises pourraient trouver des solutions durables. Cela passe par nombre de ruptures d’avec les compromissions. Un homme de conviction doit créer les conditions de paix par-delà la hiérarchisation des préférences et des certitudes sociales. L’homme  de conviction gardera à l’esprit que tout comme la justice, la paix est une œuvre sociale sans cesse projetée et remise au goût du jour. Le projet de paix sociale se nourrit de vertus humaines, d’un sens de la justice, de valeurs et de convictions. C’est dans ce sens que Martin Luther King écrivait que « la paix véritable suppose la présence de certaines forces positives – justice, bonne volonté, fraternité.» (Martin Luther King, Je fais un rêve. Les grands textes du pasteur noir, Paris, Bayard, 1985, coll. « Nouveaux horizons », p. 22-23). L’abandon de la logique de pure réciprocité n’exonère pas de l’effort, bien au contraire. Il requiert l’investissement de tout son potentiel pour la cause d’une vie bonne avec et pour les autres.

Pour Ricœur, l’homme « animal politique » ne naît pas citoyen mais le devient par militance. La paix comme norme de tout corps politique est encore à bâtir pour être viable (Article « paix » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1765), in Emmanuel Kant, Pour la paix perpétuelle, Presses universitaires de Lyon, 1985, 119).  La justice qui veut la paix ne se limite pas à des parts justes mais elle exige encore des prises de participations et des actes d’humanité. Tout comme  l’Eudaimonia grec, la justice et la paix ne sont pas seulement des visées métaphysiques mais des projets humains. Au vrai, les concepts de justice et de paix sont faits pour caractériser une réalité sociale, économique, morale et culturelle qui suppose des mesures concrètes, des attitudes et des prises de position à l’égard de l’homme, valeur sans commune mesure.

Les concepts de justice et de paix, à eux seuls, ne prouvent rien, ne garantissent rien. Autant la paix et la justice comme exigences sociales sont indissociables de leurs vertus, autant la justice formaliste est de fait impuissante à procurer à l’homme une paix sociale durable si elle ne reçoit pas un double ancrage : enracinement dans la conscience historique et enracinement dans une fondation supra-éthique. Si l’amour, gardien de la justice, représente pour Ricœur ce sommet supra-éthique, c’est parce qu’il est non seulement un facteur de paix mais aussi une fondation qui ne se dérobe pas quand entre en jeu l’intérêt de l’autre.

Ainsi une paix véritable ne peut advenir qu’à la condition que les hommes se disposent à lutter pour la paix jusqu’au don de soi. De la même façon que la guerre a ses lois, la paix en a la sienne : c’est la justice innervée d’amour. La justice est un préalable à cette paix qui ne peut pas se construire sur la seule base dyadique mais dans la structure historique du vivre-ensemble habitée par l’amour du prochain. Cette structure historique a besoin d’un fondement non violent du lien social. C’est pourquoi, dans un monde en proie au trucage, à la manipulation des consciences et au despotisme, la paix ne pourra se construire que par la volonté de vivre en harmonie dans des institutions justes avec les autres, mais dans l’acceptation de la démesure de l’amour.

En somme, la conviction est un rameau de paix, et la paix est une promesse qui s’accomplit dans l’esprit du don sans retour, dans une humanité fraternelle ouverte au don. Le don symbolise une humanité dépendante de l’altérité. Il rappelle que les biens communs de l’humanité sont aussi d’ordre moral. La justice du don vient après l’équité comme le présupposé d’une vie bonne. L’établissement de la paix implique l’intégration de l’impératif supra-éthique de la gratuité. C’est la justice du don devient l’impératif qui conduit à la paix. Si l’amour oblige, c’est en premier lieu à la justice qu’il oblige, mais en vue de la paix. Cette justice éduquée par l’économie du don sans retour veut dissiper de l’horizon la tempête des rancoeurs et des frustrations que l’on traîne sur des générations.

4   Légitimité philosophique de l’amour supra éthique

Tournons-nous à présent vers les perspectives qui s’ouvrent à notre recherche. Ce développement sur la justice en vue de la paix à l’école de Rawls et de Ricœur ne saurait se contenter d’être une simple ratification de leurs pensées. Les procédés de l’un et l’autre nous paraissent discutables. Mais dans la mesure où l’on ne rompt pas avec les colonnes de la philosophie impunément, nous mettrons simplement nos questionnements en perspective. Nous finirons donc ce travail sur de grandes interrogations qui laisseront tout de même entrevoir deux positions : nous ne croyons pas à la légitimité philosophique d’une éthique de l’amour désintéressé, et nous nous contentons de la figure du philosophe Rawls.

a)   Après la philosophie politique de Rawls

Rawls propose la justice comme équité pour corriger les déséquilibres socio-économiques dans la construction d’une démocratie socio-libérale. Les partenaires sont mis dans une position d’égalité « anhistorique » originelle où chacun ignorerait la place qui lui serait assignée en société et chercheraient son intérêt dans l’intérêt de tous et de chacun. Il peut être en effet reproché à Rawls de faire faire à la société politique un bond inutile en arrière sur les vestiges surannés du contratualisme. Une fiction de plus pour des débats interminables sur l’applicabilité de la procédure pure. Bien plus, les nombreuses oscillations de sa pensée dues ou non aux critiques communautariennes posent un problème de cohérence d’ensemble de son œuvre pour un néophyte en philosophie politique.

Sur le plan du discours philosophique, Rawls est l’auteur d’une élaboration riche en questionnements. D’un point de vue politique, son approche de la justice est jugée un brin sociologique mais le caractère public de la discussion politique est à saluer même si l’accord politique à réaliser relève d’un art démocratique consommé. Les pays africains qui vivent au quotidien des élections contestées à tort ou à raison peuvent bien se poser des questions.

En matière morale, plusieurs difficultés subsistent dans l’élaboration de Rawls. Rawls semble prôner une neutralité axiologique. Ce point de vue nous paraît réfutable puisque le consensus par recoupement vient se faire l’écho d’un polythéisme des valeurs. Rawls n’admettra pas des normes toutes faites et unicolores dans une société libérale aux valeurs plurielles. Quant à la différence de distribution, elle semble ne pas déroger aux inégales dotations naturelles des partenaires sociaux. Mais la discrimination positive n’entraîne-t-elle pas un complexe d’infériorité, une inégalité de reconnaissance sociale ? Pourquoi la redistribution ne concerne que des biens primaires et de nécessité ? Comment peut-on contribuer à la paix sociale en maintenant des poches de misère toujours prêtes à être remplies ?

Ces questions ne manquent pas d’antithèses, nous en avons conscience. Mais l’on est porté à croire que s’attaquer aux effets des inégalités (par la redistribution) et non à ses causes politiques et sociales, c’est dresser le lit au libéralisme dont on conteste les rapports de domination des faibles et de rejet des inutiles, des riens de la société.

b)   Après Rawls sans Ricœur

Ricœur est aussi assez clair : une conception purement procédurale de la justice ne pourra jamais être totalement être indépendante d’un certain sens de la justice. Ce sens de la justice ne s’exprime mieux que dans une éthique de la surabondance qui mettrait au défi et débusquerait les mesquineries d’une logique d’équivalence. Pour être assez cohérente, cette argumentation de Ricœur dispense-t-elle d’une justice procédurale à la manière de Rawls ? Rawls ne valorise-t-il pas certains idées du bien les plus partagées par tous ?

Rawls affirme effectivement que la doctrine compréhensive de la justice est absente de sa théorie de la justice. Mais si une conception politique s’inspirerait d’une idée de la vie bonne, cette dernière devrait forcément s’accorder aux principes d’une justice politique. Rawls énumère un certain nombre d’idées du bien qui réaliseraient cet accord. C’est l’exemple du bien comme vertu politique et comme rationalité. Dans ces conditions, toute herméneutique critique de la pensée de Rawls qui va dans le sens d’une éthique de la surabondance ne souffrira-t-elle pas d’une contradiction ? Qu’il n’existe pas de procédure de justice parfaite, il n’est pas juste non plus de considérer le refus des doctrines métaphysiques (compréhensives) de la justice comme le déni total du sens de la justice. Que le sens de la justice soit originaire ou a posteriori, le cercle herméneutique fonctionnera. L’essentiel est cependant ailleurs.

Notre principale préoccupation au sujet de la pensée de Ricœur concerne l’interprétation quasi théologique du sens de la justice de Rawls. Qu’est-ce qui justifierait le raccord du philosophique et du théologique dans le registre public rawlsien ? La charité peut-elle résoudre les problèmes de justice sociale dus à des déséquilibres structurels et politiques de fond ? L’inégalité de reconnaissance ne s’ensuivrait-elle pas ? Où s’appliquerait une justice du don ? Que dira-t-elle aux criminels invétérés, aux pollueurs de la planète, aux justiciers de la guerre préventive ? C’est ce qui amène à poser le problème de la légitimité philosophique de la démarche de Ricœur qui a les allures d’un traité théologico-politique de la justice.

Nous estimons que Ricœur a pris le risque de ruiner l’éthique politique de Rawls en la ramenant dans un cadre théologal. C’est probablement dans ce sens qu’Olivier Mongin écrivait : « un commandement d’amour qui se détache de la Règle d’or devient supra-éthique et donne lieu à une suspension de l’éthique au sens de Kierkegaard. » (Olivier Mongin, Paul Ricœur, Paris, Editions du Seuil, 1994, p. 234). Pour Kierkegaard, la vie éthique est déterminée par une dimension publique et normative mais reprise par une décision individuelle. L’éthique est le mode d’existence par lequel un individu se singularise. L’éthique rawlsienne de justice sociale à vocation collective se démarque largement de l’éthique religieuse ricoeurienne dont la particularité est de rendre visible la tension entre l’amour unilatéral et la justice bilatérale. Ce lien ne nous paraît pas évident dans le registre philosophique de Rawls. Sur ce point l’interprétation ressemble à la trahison. Ce changement de cap philosophique est d’autant plus étonnant que Ricœur affirmait l’autonomie et l’auto-responsabilité de son discours philosophique. Ascète de l’argumentation, il s’abstenait même de la nomination de Dieu dans Soi-même comme un autre ( p. 37).

Du coup, c’est le spectre du « crypto-théologique » semble ressurgir dans l’éthique philosophique sous les atours d’une poétique de l’« agapè » biblique. Nous n’estimons pas que la question de l’amour ne préoccupe pas la philosophie. Elle nous paraît seulement étrangère au registre politique de Rawls et ne doit pas d’être considéré comme un implicite de son approche strictement sociale de la justice. Cette ambivalence de l’éthique de Ricœur questionne en elle-même.

c)     Si la justice m’était contée

L’objection pourrait rebondir de la sorte : quelle justice prôner en vue d’une paix durable ? Dans un souci méthodologique, nous invitons à trouver dans la théorie de la justice de Rawls des éléments à valoriser pour une justice politique au service de la paix sociale sans passion communautariste. En ce qui concerne les objections contre l’injustice que pourrait occasion la différence de distribution, nous estimons que la société doit faire des compromis. Si les individus naissent inégaux pourquoi aller leur demander des résultats égaux et des parts égales. L’égalité des chances est déjà suffisante pour les protéger contre l’arbitraire. Chaque être humain ayant par ses aptitudes des dotations initiales différentes, le principe de différence ne saurait inverser l’ordre naturel des choses. Une certaine inégalité continuera de prévaloir tant qu’il y aura en société une hiérarchie du bien et des droits.

Une éthique sociale caractérise aussi bien la pensée de Rawls que celle de Ricœur. Rawls poursuit le but de formuler des principes formels universels de distribution des biens sociaux. L’éthique téléo-déontologique dont Ricœur se réclame pose aussi le problème de la redistribution des biens. Mais cette orientation tranche avec celle de Rawls au moment où Ricœur étend explicitement sa conception de la justice à la sphère religieuse (Amour et Justice, 2008). Au-delà des richesses d’une opposition « principes de justice » – « sens de justice », l’orientation religieuse de l’éthique de Ricœur la rend trop ample. Dans ces conditions, elle ne peut pas enrober l’éthique sociale de Rawls.

En affirmant qu’un sens religieux de la justice ne peut pas être un implicite des principes de justice, nous courons le risque d’être considéré comme un partisan de la morale couarde du « précepte impossible ». Il ne s’agit pas du rejet de Amour et Justice. Mises à part nos chères convictions, nous sommes persuadés qu’il y a un choix à faire entre Amour et Justice. C’est-à-dire, ou amour ou justice. Car, dans le cadre de notre réflexion philosophique, nous ne percevons pas clairement où s’introduirait le pont entre la pratique individuelle de l’amour agapè chrétien et la mise en œuvre collective (publique) de la justice qui vise à la redistribution des avantages économiques en société selon un principe d’équité. Vu la disproportion entre amour et justice, il y a un choix déchirant à faire. Non que l’amour soit caduc dans un monde ensanglanté par des guerres, ou que la justice légale suffise à moraliser la vie politique de nos soi-disant modèles de démocratie.

Par ailleurs, s’il est difficile d’aimer le prochain, comment aimer les ennemis de la justice tout en préservant la paix ? Dostoïevski ne disait-il pas que beaucoup seraient plus faciles à aimer s’ils n’avaient pas de visage ? Face à la démesure de la charité pour laquelle l’autre est tout et face à la disproportion de l’égoïsme qui recentre tout, la justice comme équité veut être une balance sans disproportion. En cela déjà, la justice est un horizon inaccessible. Pourquoi se laisser aller à une guerre des extrêmes ? La justice vaut mieux que l’efficacité et le bien être. La justice comme vertu cardinale guide la prudence en politique et assigne à l’amour sa place en société. Sans justice, à quoi rimerait l’amour ?

GGG

Conclusion générale

Cette réflexion sur la justice en vue de la paix n’a pas la prétention de clore un sujet où de grosses écuries se sont « défaites ». Nous avons voulu jeter quelques cailloux blancs sur le vaste chantier de la vérité philosophique. Non pas des réponses élaborées, nous n’en sommes qu’à la phase des questionnements, mais des questions qui alimenteraient nos cafés philosophiques dans les tout prochains jours. Il se peut que notre compte rendu et notre analyse n’aient pas été fidèles en certains points à l’intention qui anime la pensée de nos deux philosophes. C’est le lieu d’engager un dialogue avec nous pour que les pendules soient remises à l’heure. Votre contribution sera accueillie favorablement.

Toutefois, nous retiendrons que John Rawls et Paul Ricœur pensent les problèmes de justice de leur temps, ils veulent savoir comment réduire, les inégalités inacceptables qui caractérisent la société moderne. Ricœur tient aux valeurs sur lesquelles nos institutions politiques doivent se fonder. Rawls se préoccupe de comment créer plus d’équité et de bien-être pour tous. Cette question éthique lui a fait entretenir un débat très fructueux avec d’autres formes de pensée comme l’utilitarisme, le communautarisme, le libertarisme. Sa démarche aboutit à une conception politique de la justice qui articule égalité et liberté sous la forme d’une charte du libéralisme social.

Le pluralisme raisonnable vient légitimer une société plurielle d’individus rationnels qui surmonteront leur hétérogénéité dans le consensus autour d’un socle des valeurs les mieux partagées. C’est la condition à laquelle les conflits intestins pourront être tenus à l’écart. Rawls a été accusé de fonder les principes de justice sur une procédure imparfaite. Mais aussi impure qu’elle puisse paraître, la justice déontologiste de Rawls nous semble très éclairante.

Il se pose la question de savoir où trouverait-on l’effectivité de la fiction de la position originelle et du voile d’ignorance, et quand parvenir à un modèle de démocratie suffisant pour mettre en application de la justice comme équité. Nous sommes persuadés que dans un sens philosophique, mettre le moi injuste hors jeu ou hors d’état de nuire, ne serait-ce que dans une construction politique hypothétique, c’est ne pas démériter sur la voie de la recherche de la paix sociale. Le visage de cette paix nous échappe, et c’est par réalisme que notre réflexion l’a occultée.

Installé provisoirement, du moins fictivement, sous un voile d’ignorance, chacun commencera à « compter pour un » selon le vœu d’Aristote, et les hommes peuvent aspirer à plus d’équité relationnelle. Le consensus par recoupement est aussi un lieu d’entente entre les doctrines diverses du bien. La justice comme équité a connu des mutations dont il faut désormais tenir compte lorsqu’on discute avec la pensée de Rawls. Etre juste, c’est ne pas se mettre au-dessus des lois et des autres. La justice comme équité en propose la clé. Ni égoïsme, ni altruisme hyper-éthique, mais équité et solidarité avec les plus défavorisés.

Première partie : les enjeux politiques de la justice comme équité

Deuxième partie : les paradoxes de la justice procédurale selon Ricoeur

Voir aussi >>>La justice a-t-elle besoin de déontologie ?

Par Emmanuel Sena AVONYO, op

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BIBLIOGRAPHIE

JONH RAWLS

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AUTRES OUVRAGES

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