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Peut-on réinventer le concept de développement ?

Emmanuel AVONYO, op

Voir aussi >>> Éléments de réflexion pour une anthropologie philosophique du développement

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INTRODUCTION

Nous voudrions dans cet article rendre compte d’une réflexion faite en anthropologie du développement par Benjamin Akotia[1] et nous questionner sur les moyens de sa mise en œuvre. Notre anthropologue critique le développement tel qu’il est pratiqué dans le monde et les anthropologies du développement considérées comme de simples auxiliaires des idéologies du développement. La critique est accompagnée d’un instrument anthropologique d’observation et d’analyse du développement : l’anthropologie des outils et des impôts. Cette anthropologie formule une double hypothèse : d’une part, le développement est une construction de l’esprit qui reflète les mythes et les intérêts de ses constructeurs, et d’autre part, il faut comprendre la dynamique sociale du développement propre à chaque tradition ainsi que ses effets déclencheurs pour réaliser un modèle de développement qui leur convienne.

Par voie de conséquence, un modèle de développement décrété en Occident et imposé verticalement ne peut qu’être à la solde des intérêts des développeurs. Pour parvenir en Afrique à un développement qui tienne compte de ses traditions culturelles, il faut se départir du mirage d’un modèle meilleur et prêt-à-expérimenter pour penser autrement son développement. Avant de préciser les contours de l’anthropologie de l’outil et de l’impôt, il convient de situer dès le départ le sens de notre démarche et de poser le problème du développement. Nous rappellerons ensuite les trois approches en anthropologie du développement et relèverons les paradigmes qui justifient la mentalité développementiste. Pour finir, nous examinerons la légitimité d’une anthropologie des outils et des impôts.

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I. LE DEVELOPPEMENT : UNE QUESTION IDEOLOGIQUE

Comment justifier notre intérêt pour une nouvelle façon de penser le développement ? Pourquoi la philosophie doit-elle s’intéresser à l’anthropologie du développement ? Trois raisons principales peuvent être avancées.

Motivations du travail

La première raison tient au fait que l’Afrique était, depuis la fin officielle de la colonisation, et demeure jusqu’à nos jours un continent en voie de développement, jamais parvenu au terme fixé par les développeurs. L’Afrique noire n’est pas en voie de développement, c’est un euphémisme, elle est un continent permanemment sous-développé dont on ne sait rien, sinon qu’il est attardé, et cela dure plus d’un demi siècle déjà. Et pourtant, avant la colonisation, les Africains ne s’étaient jamais plaints de leur bien-être.

La deuxième raison découle de l’acuité avec laquelle la question du développement se pose depuis plusieurs décennies maintenant. Pendant que les partenaires au développement s’activent dans le monde et en Afrique particulièrement, philosophes, économistes, juristes, anthropologues de tous bords rivalisent d’ardeur pour proposer une approche originale du développement. Leurs élaborations théoriques et analyses apparaissent généralement comme de pures expériences de pensée qui sont loin de changer le quotidien de l’Africain pris dans la bourrasque du développement.

La troisième raison, qui est la première dans l’ordre de l’importance, procède de l’intérêt que nous avons accordé aux principales thèses défendues par Benjamin Akotia pendant son cours d’anthropologie du développement[2]: les approches en anthropologie du développement sont des moyens d’accompagnement et de justification de la logique du développement à l’occidental, car le développement sous sa forme actuelle n’est que le substitut déguisé et la continuation de l’entreprise civilisatrice. Sous ces rapports, le développement pose de véritables problèmes anthropologiques. Quant à l’anthropologie, elle est la vocation première de toute philosophie.

Problématique et hypothèses

Le sous-développement est-il la pierre de Sisyphe d’une partie du monde ? Autrement dit, le sous-développement est-il une fatalité pour les Noirs ? Le non-développement permanent des uns est-il la condition du développement et de la prospérité des autres ? Si le développement donne à penser en vain, la meilleure solution serait-elle de ne plus chercher à en sortir ? Faudrait-il renoncer au développement ? Ces questions n’appellent à rien d’autre qu’à un regain d’interrogation pour éclairer la lanterne autour des enjeux sordides du développement et à une action concertée en vue des lendemains meilleurs.

Nous avons trouvé dans le cours de Benjamin Akotia, un chemin de pensée qui mérite d’être examiné de près. Il part d’un présupposé fondamental : l’inadéquation du modèle occidental du développement avec la réalité des Africains. Pour remédier aux défaillances de ce modèle dominant de développement dit « universel », il préconise une anthropologie des outils et des impôts qui s’affranchirait du schéma traditionnel et condescendant « développeur » et « à développer ». « N’y aurait-il pas une manière africaine de se développer ? » se demande-t-il. Son anthropologie qui s’appuie sur « un instrument neutre d’observation du développement » veut fournir un socle endogène au développement des Africains et de tous ceux voudraient s’en inspirer.

Notre article se fixe pour objectifs d’énoncer les idées principales de cette anthropologie et de mettre en perspective les questionnements qui la traversent afin de porter (et de poursuivre) le débat sur la place publique. En effet, en choisissant de nous faire l’écho des hypothèses de recherche contenues dans ce cours d’anthropologie du développement, nous entendons étendre « l’espace de résonance » de cette anthropologie et questionner sa pertinence d’un point de vue philosophique. Nous soutenons absolument l’idée qu’une nouvelle façon de penser le développement est nécessaire. Nous partageons aussi le pari qu’elle ne devrait plus se contenter d’être une simple mesure d’accompagnement des stratégies de développement concoctées depuis les antichambres des métropoles occidentales.

Nous nous posons néanmoins la question de savoir à quel degré de radicalité une telle anthropologie peut-elle prétendre rompre avec les approches traditionnelles du développement. Une nouvelle manière de penser le développement résistera-t-elle au choc des consciences sensibilisées au progrès technologique ? N’est-elle pas condamnée, pour être recevable, à n’être qu’une reprise contextuelle de ce qui s’expérimente déjà ? Ne reste-t-elle pas tributaire d’un héritage indépassable ? Que peut-on apporter de nouveau dans ce domaine ? Une lecture anthropologique des besoins du continent africain peut-elle prétendre à une homogénéité ?

Il pourrait nous être objecté que le propos de Benjamin Akotia, qui consiste à secouer de l’intérieur du monde en développement et à démystifier les corps de dogmes reçus, ne procède qu’à une analyse des mythes qui sous-tendent l’acception du développement selon les aires géographiques et afin de proposer de nouveaux jalons de réflexion et d’analyse du développement. Mais il n’est pas moins évident qu’il ne revendique le droit de comprendre la dynamique développementiste que pour remettre en cause le modèle dominant du développement et lui substituer un modèle plus idoine.

C’est pourquoi la question se pose de savoir quelles sont les chances réelles d’une telle rupture ? Nous nous interrogerons sur les lettres de créance d’une telle anthropologie des outils et des impôts dans des milieux où la colonisation des esprits et la technicisation des mentalités ne cessent de prendre de l’ampleur. Nous espérons que le croisement de regards attendu pourra aider à réinterroger les bases d’une anthropologie pour le développement de l’Afrique. Commençons par nous faire une idée claire des interactions et enjeux perceptibles dans le champ du développement.

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STRUCTURE DU TEXTE

II. « LES TROIS APPROCHES EN ANTHROPOLOGIE  DU DEVELOPPEMENT »

III.  UNE ANTHROPOLOGIE CRITIQUE DU DEVELOPPEMENT

IV. QUELLE ANTHROPOLOGIE DU DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE ?

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CONCLUSION

Nous avons interrogé le concept de développement à partir des mythes et paradigmes qui le structurent. Ce travail nous a permis de nous rendre à l’évidence que l’anthropologie du développement se présente comme un auxiliaire du développement qui perpétue insidieusement la mission civilisatrice. Le développement est un prétexte pour assimiler les autres peuples, il n’a jamais été une question de bien-être, mais un problème idéologique. Il ne vise pas le bien-être des à-développer, c’est une forme déguisée de colonisation. A la lumière de l’analyse des différentes approches et méthodes en anthropologie du développement, Benjamin Akotia propose « un outil méthodologique neutre pour libérer l’anthropologie de ses avatars ».

Son approche critique du développement est assortie d’une anthropologie de l’outil et de l’impôt « qui trouve son objet dans toutes les sociétés humaines ». L’observation de l’outil et de l’impôt offre une dynamique de développement sans référence à un développeur et à un développé. Le développement n’est donc pas la réalisation d’un cliché imposé par le développeur. Sous le schéma développeur à-développer, le développement n’est rien d’autre que l’injection d’un modèle exogène, une prescription inadaptée. C’est cette tendance que Benjamin Akotia invite à dépasser.

En effet, selon notre anthropologue, une nouvelle approche du développement doit naître de l’idéal interne d’un système. Elle doit amener à sortir du schéma actuel du développement « développeur – à développer », « sauveurs – à sauver ». Car, « l’Occident pose la question du développement comme une question de salut, où ils sont les sauveurs, et nous les condamnés ». Le développement dans sa forme habituelle néglige les traditions culturelles qui doivent le porter. Et il est de notoriété publique qu’au lieu de sauver un Etat ou un individu, les développeurs préfèrent généralement sauver un peuple. En octroyant des aides à des gens dont on sait qu’ils ne disposent d’aucun moyen de gestion et de planification de l’utilisation, n’est-ce pas une manière d’appliquer du sparadrap sur des jambes de bois ?

Aussi, l’une des positions défendues est celle-ci : résister au développement ou se rendre aux assimilateurs. Ne pas résister, c’est coopérer au système négateur des valeurs africaines. On pourrait inférer que résister, c’est rejeter cette forme destructrice de développement. Or, pour résoudre le dilemme, il appelle à ne pas rejeter le développement, mais à rejeter le modèle de développement dominant et « les multiples thérapies concoctées pour sa sortie du sous-développement.» Sur cette base, résister au développement et faire les meilleurs choix sans s’oublier soi-même nous paraissent être deux choses différentes, voire opposées.

En dépit du caractère apparemment ambivalent du discours, nous pensons que pour bien circonscrire le propos de Benjamin Akotia, il faut remettre en cause notre définition du développement. Le développement n’a plus rien à voir avec les indices du développement du FMI et de la BAD. En effet, le développement peut être simplement ce que nous faisons pour gérer notre relation à la terre et au frère par l’outil et l’impôt. Nous estimons à cet effet que Benjamin Akotia opère une rupture difficultueuse. Les conditions du dialogue de l’Afrique avec l’Occident doivent encore être précisées.

Cette réflexion n’est pas à priori une invite à refuser le développement, à se construire à l’écart. Elle veut appeler à s’interroger et à comprendre ce que nous adoptons comme modèles de développement afin « d’entrer dignement dans le dialogue en apportant le trésor, si petit soit-il, qui est le nôtre ». A la question faut-il se développer ou non, l’abbé Benjamin Kokou Akotia répond : « il faut se développer en faisant les meilleurs choix. Il faut se développer sans oublier d’être soi-même ». Il se pose une question pratique : comment sortir réellement des sentiers battus du développement ?

Sur ce point, la pensée de Benjamin Akotia reste à préciser. Nous y décelons une ambivalence, ou du moins, nous avons du mal à saisir la pensée de notre professeur. Il faut souligner que ce dernier nous a tenu entièrement responsable des propos que nous énonçons ici, dans la mesure où sa pensée est en cours d’élaboration et que son outil anthropologique d’observation du développement est expérimental. Nous prenons néanmoins le risque d’étaler les difficultés auxquelles nous confronte l’approche de sa pensée afin de poursuivre ensemble la réflexion. C’est le résultat de l’intérêt que nous avons manifesté pour son cours.

Toutefois, nos critiques n’entachent en rien la rigueur, la lucidité, l’audace du discours ainsi que la hauteur de vue de notre professeur. Dans son ensemble, sa critique du développement peut être comprise comme un appel à une intelligence critique du développement. Sa démarche est portée par le souci d’un meilleur devenir de l’Afrique par le travail de ses fils. Il est aussi remarquable que l’application de l’instrument anthropologique d’observation du développement aux différentes aires géographiques du monde confirme ses hypothèses. Aujourd’hui, les échecs en matière de développement sont de plus en plus évidents. Il reste à répondre à la question : comment se développer ? C’est sur ce point que les discussions risquent d’être âpres car aucun modèle de développement ne saurait se suffire à lui-même.

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Voir aussi >>> Éléments de réflexion pour une anthropologie philosophique du développement


[1] L’Abbé Benjamin Kokou AKOTIA est un anthropologue d’origine togolaise, enseignant à la faculté de théologie de l’Université Catholique d’Afrique de l’Ouest – Unité Universitaire d’Abidjan.

[2] Cours manuscrit d’anthropologie du développement dispensé à l’Institut Saint Thomas d’Aquin de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) du 12 au 17 novembre 2009.

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Pensée du 12 novembre 09

« Le droit individuel au suicide, cela se discute, le droit au suicide de l’humanité, cela ne se discute pas ».

Hans JONAS, Principe Responsabilité.

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GRILLE DE LECTURE

Hans Jonas, en pensant la technoscience dans la démesure de sa production voit que l’humanité tout entière est menacée, elle court un danger. La menace plane sur la vie de l’homme individuel et sur l’humanité puisqu’il y a une importance des dégâts collatéraux de l’agir ultra-technologique de l’homme. Le technoscientique est en train de risquer sa vie et celle de tous ceux qui partagent les mêmes conditions d’existence que lui, ceux qui sont dans une même communauté de vie que lui. La vie de tous est pariée.

Mais le pari ne concerne que soi. L’on ne peut risquer que ce qui nous est propre. L’on ne doit pas risquer quelque chose qui appartient aux autres. C’est pourquoi, le suicide qui est toujours un fait personnel peut se décider par celui qui veut s’ôter la vie. Lui-même réfléchit, voit les contours et peut décider. C’est dans ce sens que Hans Jonas pense la discussion sur quelque suicide personnel, individuel. Vouloir se suicider, c’est vouloir délibérément s’enlever la vie qui est une propriété. L’homme qui vit a la vie en propre. On dirait qu’il est le « propriétaire » de sa propre vie.

L’humanité dépasse l’homme individuel, c’est une entité plus large qui englobe tout. On dirait que l’homme est une goutte d’eau dans cette mer de l’humanité. Et donc l’homme ne peut risquer la vie de toute une masse de gens. L’humanité n’est pas une personne qui  peut décider de s’enlever, de risquer, de parier quelque chose qui lui est propre. On ne peut donc discuter du suicide de l’humanité. Le suicide d’une collectivité ne peut être décidé par quelqu’un. Seule la collectivité a des droits sur ses biens, ses affaires, sur ses acquis, bref, sur ce tout ce qui lui appartient et dont elle peut jouir à son aise, à sa guise. Droits et obligations à l’égard de l’autre, à l’égard de tout ce qui le fait, à l’égard de tout ce qu’il a et de tout ce qu’il est  sont soulignés ici. L’éthique dans les relations, dans les faires, dans les actes est ici revalorisée.

fr Aristide BASSE, op

Pensée du 11 novembre

NUL N’ENTRE ICI S’IL N’EST GEOMETRE>>>

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Réflexion sur la biodiversité et la technoscience: le réchauffement climatique

Frère Aristide BASSE, op

abassearistide@yahoo.fr

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Nous sommes tous aujourd’hui témoins de la dégradation de la nature. Le monde est entré dans une ère où se manifestent au jour le jour les conséquences du faire de l’homo faber. L’homme technologique se retrouve face à ce qu’il a créé, face à ce qu’il ne cesse de créer. Le développement pointu de la technique permet réellement à l’homme d’acquérir à volonté ce qu’il désire de la nature. Mais cette maîtrise de la nature n’est plus vraiment maîtrisée par l’homme lui-même. On dirait autrement que la victoire trop grande menace le vainqueur lui-même.

L’initiative pour notre réflexion ici a eu pour déclic la dernière Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) tenue à New York (Etats-Unis) du 21 au 25 septembre 2009, Assemblée qui a fait état entre autres points du réchauffement climatique, conséquence sans équivoque de l’agir ultra-technoscientifique de l’humain. Des débats fusent sur le problème accru du réchauffement climatique qui ne laisse plus personne indifférent, qui ne se lasse de faire des victimes dans les quatre coins de la planète : tout le monde est concerné par ce problème en pensée ou dans les effets ! Partout, ce phénomène, mieux ce désastre devenu planétaire se signale sans autre forme de procès : « Vous m’avez provoqué, je suis là ! ». Voilà qu’il nous interpelle et nous invite à penser et à repenser notre rapport à la nature, cette nature ou ce cosmos qui nous englobe : «Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends »[1] ; ce cosmos  nous nourrit mais nous le façonnons.  Cela interpelle l’homme et sa responsabilité face à la nature (biosphère et écosphère) et face à lui-même, donc face à la vie. Car qui dit vie dit être et qui dit être dit être responsable, selon le philosophe Hans Jonas. Il y a comme une « responsabilité ontologique », qui traduit une « responsabilité métaphysique »[2] de l’homme.

Nous voulons à travers ces lignes porter notre pensée sur le réchauffement climatique et participer sur un autre ordre aux grands débats sur le réchauffement climatique, problème qui fait couler beaucoup d’encre de nos jours. Nous pensons parler d’abord de ce phénomène et ce qui en est la base, puis du réchauffement climatique  et du développement durable et en dernier ressort, nous proposerons quelques pistes de réflexion. Pour cela, la pensée de Hans Jonas nous aidera car il est celui qui a le mérite d’avoir posé le problème d’une réflexion éthique (avec une visée sur le futur) à l’ère de la civilisation technologique qui est la nôtre.

I – L’AGIR ULTRA TECHNOLOGIQUE  ET LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Nous savons que l’on a souvent beaucoup parlé de l’agir technique et de ses conséquences sur la nature.  Nous parions que personne n’ignore les effets de la technoscience aujourd’hui. En effet, l’avènement de la technique, coopérative de la science a bouleversé l’existence en tant que telle. L’ambition démesurée de l’humain trouve un outil sans tâche et disponible sur fond de nécessité dans la technologie, outil nécessaire sur commande pour mettre en place des produits qu’il veut. Mais la production qui en est le fruit prend la couleur d’une démesure. Cette démesure se signale même dans la capacité à la fois qualitative et quantitative de l’action humaine sur la nature qui se trouve dès lors outre-dominée et surexploitée. Il en résulte des effets ou réactions peu attendues, ou pas du tout pensées de la part de cette matière devenue une victime languissante. Partout maintenant les climats changent, on ne sait plus comment. Ils ne suivent plus leur cours normal d’antan. L’homme se surprend d’être témoin des climats qui ne lui font pas du tout cadeau et le surprennent. Les prévisions prennent l’allure d’un leurre et se manifestent inutiles.

Il y a comme une rébellion de la nature, du cosmos. Nous assistons ça et là aux catastrophes que la raison humaine continue à tort de qualifier de naturelles. Nous disons « à tort » car c’est pour voiler au fait à l’homme lui-même une vérité : elles sont provoquées. Ce qui est naturel n’est pas ce qui est provoqué ou qui trouve sa source dans quelque chose du dehors, de l’extérieur. Ce qui est naturel a trait à ce qui est de l’essence ou de la nature (qui concerne la capacité d’agir, d’action) d’une chose. Un fait naturel vient du dedans de la chose même, elle est le produit ou la manifestation extérieure d’une action, d’une vie intérieure, intrinsèque. Or, la plupart de ces catastrophes auxquelles l’homme fait face et qu’il subit aujourd’hui sont la résultante et la conséquence réelle de son faire. La nature est blessée dans son être profond. Elle réagit au détriment de l’homme. Les inondations à outrance, la chaleur intempestive qui provoque des incendies ou les favorise (Espagne en juillet 2009, Grèce en août 2009), des tremblements de terre à répétition, etc, sont autant d’exemples et de réalités alarmantes qui sont le cri de la nature torturée. L’on me dira que ces faits sont aussi vieux que le monde ; certes oui, mais nous pensons qu’il y a une recrudescence qui nous questionne : Pourquoi il semble être comme un réveil ? La barrière naturelle aux catastrophes semble ne plus exister, l’homme l’a déjà enlevée ! Dommage ! Maintenant vient le temps de la souffrance. La nature violée dans son être fait face à  un dérèglement dans son essence fonctionnelle.

Nous pensons que l’acharnement de l’homme sur la nature a deux effets principaux : l’économique et l’environnemental. Nous voulons dire que c’est le problème de l’environnement et celui de l’économie qui incitent à cet agir trop annihilant et détruisant de l’homme sur la nature. Le réchauffement climatique qui fait la une aujourd’hui a donc pour causes essentielles le problème de l’environnement et de l’économie. Ce qui fait qu’il pose un problème pour la notion du développement durable aujourd’hui.

II – LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET LE DEVELOPPEMENT DURABLE

Le développement durable est une notion en vogue depuis ces derniers temps. Il vient dire ce  à quoi les idéologies et les programmes politiques s’attellent pour la vie : pérenniser le développement, faire en sorte que beaucoup de générations puissent bénéficier du développement, du bien-être qu’apporte le vent du bonheur atteint à un moment donné de l’histoire d’un pays. Le développement durable prend donc en compte les êtres du temps (nous voulons dire du moment, du présent) et les êtres à venir. L’a-venir est considéré dans sa réalité dans l’aujourd’hui de l’existence des êtres qui en sont responsables. C’est dire que les hommes d’aujourd’hui prennent compte de leur responsabilité face aux êtres qu’ils pourraient faire venir à l’existence sans « demander leur avis ». Aussi, la vulnérabilité, la fragilité et l’existence innocente  des êtres futurs commandent la responsabilité de l’homme présent.  Mais est-ce que cela se vit réellement dans le faire de l’homme aujourd’hui ?

Comme nous l’avions dit plus-haut, le réchauffement climatique fait état d’un simple corollaire. Ce qui est visé dans le faire technologique est la transformation de l’environnement et l’économie qui lui est liée. Mais l’ultra-faire technologique fait naître une apocalypse rampante. L’avenir est certain, le futur est une réalité factuelle à venir, son être ne se discute pas. Et les hommes qui y vivront  selon notre bon vouloir, grâce à notre action progénitrice ont aussi à bénéficier des biens de la terre, de la nature. Tout ce qui est créé et existe sous le soleil est pour tous, il est ordonné à tous. Il y a un impératif d’une prise de conscience :  Utiliser la nature pour nous en pensant que les autres êtres qui viendront après nous l’utiliseront aussi pour leur bonheur. Nous sommes invités à être responsables aujourd’hui à l’égard de la nature et des êtres potentiels qui viendront à l’existence. L’homme présent doit donc préparer une heureuse vie à la postérité. Même s’ils n’ont aucun droit en réalité sur nous (n’a de droit que ce qui existe déjà), il y a comme une « accusation anticipée » (H. Jonas) de la part des hommes à venir puisqu’ils existeront par notre volonté.

Nous savons que ça et là de par le monde, il y a des conférences organisées autour de la question du réchauffement climatique ; Une grande est attendue pour décembre prochain à Copenhague, au Danemark. Ce que nous pouvons dire, c’est que l’homme, cet être libre et responsable ontologiquement[3] se trouve face à un problème dont Hans Jonas a tenté en son temps de nous prémunir. Dans les années 1990, l’éthique du futur de Hans Jonas a été accusée de s’appuyer sur le principe de précaution  par opposition au principe d’espérance de Ernst Bloch. En effet, H. Jonas invitait les hommes à prêter l’oreille à la prophétie du malheur qu’à celle du bonheur  mais sans s’opposer radicalement à l’espoir d’une vie en rose. Au fond, cette approche est une condition de possibilité pour son éthique du futur qui est une éthique pour aujourd’hui. Mais pas une seule génération n’est passée, l’histoire lui donne raison aujourd’hui : Les hommes qui ne lui ont pas prêté l’oreille ou qui l’ont entendu sans le comprendre subissent eux-mêmes les conséquences désastreuses de leur agir à jamais technoscientifique. Son heuristique de la peur et sa futurologie comparative[4] trouvent déjà des répondants matériels, concrets.

L’homme aujourd’hui voit la précarité de sa vie : Le Souci au sens heideggérien sans cesse ne le laisse. Les changements climatiques auxquels l’homme fait face aujourd’hui sont le fruit d’une maîtrise non contrôlée de la nature par l’homme. La raison humaine lui a permis de se soumettre la nature mais l’homme va loin, très loin. L’homme se croit parvenir à l’autosuffisance. Mais il s’appauvrit spirituellement[5] en devenant riche matériellement[6]. Ce qui est comme le nerf du désordre de l’homme ou de son usage désordonné de la nature nourricière est cette compétitivité économique sans retenue : on veut devenir riche, de plus en plus riche hic et nunc. Au fond, même si cela lui facilite la vie, c’est-à-dire lui donne la joie dans une certaine mesure, l’homme qui agit sans mesure se tue à petit feu au jour le jour. D’où qu’il doit chercher des solutions pour que tout ce qu’il fait, tous ses actes technoscientifiques ne lui soient pas néfastes, n’attentent à sa vie plutôt que ne l’aident à vivre.

III – QUELQUES PISTES DE REFLEXION

Au regard de la réalité des méfaits ou des dégâts collatéraux que cause la technoscience interpellée plutôt pour donner la vie, l’homo sapiens doit prendre conscience qu’il n’a pas fait le choix de venir à l’existence aujourd’hui ; et que passant, il doit chercher à laisser de bonnes traces pour la postérité. La raison qui oriente son agir doit l’aider à laisser être une trace édifiante, constructive. Et « tant que le péril est inconnu, on ignore ce qui doit être protégé et pourquoi il le doit. Nous savons seulement ce qui est en jeu lorsque nous savons que cela est en jeu »[7] . C’est ainsi que nous voulons dire ici qu’une réflexion  sur la nature de l’acte à poser aujourd’hui est nécessaire. Il faut que l’homme trouve des solutions rationnelles pour résoudre les problèmes que ses agirs « rationnels » ont créés, nous voulons dire ce que la raison de l’homo faber lui a permis ou lui permet de faire.

L’homo faber remplace de nos jours l’homo sapiens, et l’homo faber devient l’homo sapiens demens selon l’expression d’Edgar Morin. Le sort de l’humanité présente et future est en jeu. Et pourtant, il n’est pas permis de mettre en jeu quelque chose qui ne nous appartient pas en propre. C’est pourquoi, l’homme présent (puisqu’il ne peut que lui incomber cette tâche impérative !) doit se savoir responsable de ses actes. Sa liberté qui l’ennoblit doit être ordonnée au bien, au sien propre et à celui des autres (futurs). La production qui est certes selon Marx à la base de toute existence humaine ne doit pas verser dans la démesure. L’homme doit trouver des moyens pour réduire la production de ce qui peut lui devenir périlleux (les gaz à effet de serre par exemple). L’homme doit faire preuve de la bonne vertu qu’Aristote appelle « le juste milieu », disons la « mediocritas ». Nous sommes convaincu qu’il peut fabriquer ou produire quelques choses qui peuvent ne pas se retourner contre lui. Il faudrait qu’il sache prendre des mesures pour son être-acte aujourd’hui, des résolutions pour aujourd’hui sont nécessaires. Nous disons aussi que la subjectivité transcendantale et ouverte de l’homme doit être prise au sérieux car l’homme est ouvert et sa vie est ouverte ; elle n’est pas renfermée sur elle-même. L’homme qui se surprend en train de vivre maintenant (ce qu’il n’a pas choisi), lui l’être-jeté[8], doit savoir qu’il vit aujourd’hui  et que demain, il doit laisser la place à d’autres occupants de la terre qui doivent se nourrir, vivre paisiblement, jouir de la vie sereine du cosmos.  Aussi, nous nous demandons pourquoi, au fur et à mesure que le monde avance, que le monde se civilise, il est comme un fait réel : l’homme n’avance pas dans son cœur et sa pensée. Par pensée, nous voulons souligner cette faculté de pré-voir, de dominer ses passions parfois non nobles.

Disons aussi que la personne humaine doit savoir que la portée contextuelle, sociale, historique de son agir aujourd’hui le presse et l’invite à la reconsidération bienfaisante et lumineuse de ses vœux, ses aspirations tant économiques que politiques. Des buts économiques ne doivent pas engluer la vue de l’homme. La vie vaut plus que l’argent. L’argent doit permettre de bien vivre, c’est un moyen pour la vie. Ne faudrait-il pas aussi penser qu’il y a comme une vision étriquée, vicieuse et caressante des bienfaits  de la technologie ? Cette vision est à enfouir au fond des oubliettes. Le monde actuel est le monde de la technique, un monde de l’efficience où l’homme ne pense plus, comme le pensait Heidegger : « L’essence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appelé l’Arraisonnement. (…) L’Arraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation, qui met l’homme en demeure de dévoiler le réel comme fonds dans le mode du ‘commettre’ »[9]. Nous pensons qu’il faudrait en fin de compte une certaine mystique  de revalorisation de la raison raisonnante qui spécule en suscitant le bien, qui ordonne en prévoyant, et qui invente en contrôlant. Pour la valorisation de son humanitas, l’homme doit prévaloir sa recta ratio ou son orthos logos.

CONCLUSION

Nous voilà au terme de notre réflexion sur un problème actuel : le réchauffement climatique. Nous savons qu’il est à la une de nos jours. Notre analyse de la situation nous a permis de comprendre que le réchauffement climatique n’est pas un fait isolé, c’est un corollaire. Nous sommes dans une ère de technologie de pointe. Et la réalité est que la technoscience, interpellée pour donner la vie, pour la garantir, semble perdre la route pour tuer la vie ; elle tue la vie. La victoire trop grande sur la nature menace d’un désastre planétaire. Les inondations de toute sorte, la chaleur, bref autant d’indices du dérèglement de la nature bousculée sont les symptômes sans cesse pathétiques du malheur qui s’abat sur l’homme. D’où qu’il doit revoir, reconsidérer, réévaluer son agir appuyé par la technoscience, son amie de route dans ce gouffre de l’exister.

Les questions économiques et la transformation de l’environnement qui leur est lié aussi en partie sont les nerfs d’amplification du désastre qui crée le malheur de l’homme. La liberté fait naître plutôt une misère anthropologique. Nous pensons que la revalorisation de la dignité humaine et de la noblesse de l’homme, de la raison (qui fait cette noblesse et cette dignité) s’impose de fait de nos jours. L’homme doit avoir le courage de se revoir, se mesurer, se mettre face à lui-même pour voir ses forces et ses faiblesses dans tout ce qui le constitue, dans tout ce qu’il fait, dans tout ce qu’il peut maîtriser. La vie est à valoriser. La dignité humaine est à promouvoir. Tout acte posé peut se retourner contre l’homme lui-même, l’acteur. La raison, la prévoyance et le contrôle doivent toujours accompagner l’homme technoscientifique. Il faut toujours penser au futur. Les générations présentes sont responsables des générations futures. L’homme doit chercher aujourd’hui des moyens efficaces pour faire face au réchauffement climatique, pour amortir son choc car il est un fait déjà mais pas une fatalité. La vie est à promouvoir, et il en va de la responsabilité de l’homme.

Frère Aristide BASSE, op

abassearistide@yahoo.fr

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VOIR >>> LES ENJEUX POLITIQUES DE LA JUSTICE COMME EQUITE DE JOHN RAWLS

PENSEE DU 18 OCTOBRE <<< >>> PENSEE DU 22 OCTOBRE

BIBLIOGRAPHIE

ü      HEIDEGGER, Martin, Essais et conférences, trad. André PREAU, Paris,

Gallimard, 1954.

ü      JONAS, Hans, Principe Responsabilité, Paris, Cerf, 1992.

ü      PASCAL, Blaise, Pensées, Ed. présentée, établie et annotée par Michel Le Guern,

Paris, Gallimard, 1977.


[1] Blaise Pascal, Pensées, L.G. 104-B 348.

[2] Hans Jonas, Principe Responsabilité,  p. 69.

[3] La responsabilité fait partie de l’essence de l’homme. Hans Jonas dit que la responsabilité est ontologiquement fondée. La présence de l’homme dit sa responsabilité. La responsabilité est donc à préserver. C’est pourquoi, il faut ménager l’existence de l’être futur qui est la condition de possibilité de l’être de la responsabilité.

[4] Science des prédictions hypothétiques pour mettre à jour et les comparer les constats idéels ou possibles des résultats bons et mauvais de l’agir technique présent.

[5] Spirituellement ici n’est pas pris au sens religieux du terme mais a trait à l’esprit humain.

[6] L’acquisition des produits sensibles qui « embellissent » le quotidien et donnent satisfaction appétitive à l’humain assoiffé et attiré par la pure matérialité.

[7] Hans Jonas, Principe Responsabilité, Paris, Cerf, 1992,  p. 49.

[8] L’expression est de Martin Heidegger.

[9] Martin Heidegger, Essais et conférences, pp. 32.

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